Les fumées de gaz lacrymogène et les cris saturent l’atmosphère de la petite ville d’Agareb, dans centre-est de la Tunisie. Imperturbable, Mabrouka Ben Ibrahim manifeste au nom de sa fille dont elle attribue la mort à des émanations toxiques provenant d’une décharge toute proche.
Il y a deux ans, Yousra a succombé à l’âge de 21 ans à une piqûre de moustique. Sa mère est convaincue que l’insecte lui a transmis une maladie ou une toxine mortelle provenant des ordures de l’énorme décharge d’Agareb, qui s’étend sur 35 hectares, près de chez eux.
« J’ai perdu ma fille, je ne veux pas que d’autres familles soient endeuillées à cause de cette décharge », explique à l’AFP Mme Ben Ibrahim, 59 ans. Elle figure parmi les habitants qui manifestent depuis lundi contre la réouverture de la décharge.
Les tonnes d’ordures enfouies sur le site d’Agareb, qui dessert un million d’habitants de la région de Sfax, contiennent aussi des déchets industriels et médicaux dangereux, selon les riverains. Des habitants et médecins dénoncent une incidence plus forte qu’ailleurs de certains types de cancers, de problèmes de vue et d’infertilité.
Sous la pression populaire, les autorités avaient promis de fermer définitivement le site complètement saturé. Mais lundi, ils l’ont rouvert, faute de trouver un autre lieu de stockage, déclenchant une série de manifestations et d’affrontements avec la police.
Mardi, un manifestant est mort des suites des gaz lacrymogènes tirés par les forces de l’ordre, selon sa famille, une version contestée par les autorités.
Quand la décharge d’Agareb a fermé provisoirement fin septembre, les municipalités de la région ont arrêté de ramasser les ordures, provoquant une crise des déchets à Sfax, qui s’est retrouvée 40 jours plus tard envahie de sacs poubelles.
Les autorités ont donc rouvert en catastrophe Agareb, située à une trentaine de km de la grande métropole industrielle, mais cela n’a fait que déplacer le problème.
Les riverains de la décharge, située non loin du centre-ville, se plaignent des pestilences du site depuis son ouverture en 2008.
« Deux ans après, nous recensions déjà une hausse des allergies, des maladies respiratoires et fausses couches comme effet direct d’incendies (sauvages) d’ordures et de l’émission de gaz toxiques », explique à l’AFP le docteur Bassem Ben Ammar, installé à Agareb depuis plus de 20 ans, et qui constate aussi une forte hausse des cas de cancer.
Il dit avoir vu arriver sur la décharge « des déchets en tous genres, des membres humains amputés et même des foetus », alors que le ministère de l’Environnement assure que les déchets hospitaliers sont traités au préalable.
Y sont stockés aussi les résidus des nombreuses usines de cette région industrielle.
Même après la dissipation des gaz lacrymogènes, la puanteur des ordures continue de planer sur Agareb, ville de 40.000 habitants.
« Toute l’année, on est envahis par les moustiques et par cette odeur répugnante. On ne peut même pas ouvrir nos fenêtres », dénonce Adel Ben Faraj, l’un des manifestants.
La décharge, située au milieu d’une réserve naturelle, reçoit plus de 620 tonnes de déchets par jour, indique à l’AFP Ines Labiadh, du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES).
Il s’agit de l’un des 13 sites officiels d’enfouissement en Tunisie, à côté de dizaines de décharges anarchiques. Dans le pays, une majorité des déchets sont enfouis ou stockés à ciel ouvert, parfois incinérés et une infime quantité (moins de 10% selon le FTDES) est recyclée.
Les riverains rappellent que la décharge d’Agareb ne devait initialement être ouverte que pendant cinq ans mais que son utilisation a été prolongée en 2013 et qu’elle a continué de fonctionner malgré une ordonnance de fermeture immédiate prononcée en 2019.
« Aujourd’hui, les manifestations ont lieu à Agareb, demain, elles pourraient être organisées près de Tunis », souligne Mme Labiadh, en notant qu’une partie du pays profite « d’un air propre » tandis que « les habitants de certaines zones pauvres sont privés des droits fondamentaux ».
Pour sensibiliser d’autres populations, des habitants d’Agareb se sont organisés au sein du collectif artistique « Maneche Msabb »(Je ne suis pas une décharge), dont est membre Maamoun Ajmi, un architecte de 29 ans.
Même s’il faisait partie d’un groupe d’activistes qui ont rencontré le président Kais Saied jeudi à Tunis, pour M. Ajmi, la question de la décharge n’a rien à voir avec la politique.
« Nous ne sommes que des citoyens tunisiens qui revendiquons notre droit à un environnement propre », dit-il à l’AFP.
Source: AFP