Après avoir gagné la guerre, il faut gagner la paix… Et ce n’est pas une mince affaire, en Syrie comme ailleurs! Les parties prenantes dans le dossier syrien se sont réunies les 21 et 22 décembre à Astana pour la 17e session. Lancé en 2017 par la Russie, ce format vise à résoudre le conflit syrien.
Dans la capitale kazakhe se sont rassemblées ainsi les délégations turque, russe, iranienne et, bien sûr, syrienne.
Cette dernière étant guidée par le vice-ministre syrien des Affaires étrangères, Ayman Susan. L’opposition syrienne était également présente en la personne d’Ahmad Tu’mah. Le Liban, la Jordanie et l’Irak ont pris part aux pourparlers avec le statut « d’observateurs ».
Des échanges auxquels Khawla Mattar, l’envoyé spécial adjoint de l’Onu pour la Syrie, a également assisté.
Idlib, cœur de la discorde
Les priorités concernant le dossier syrien y ont été passées en revue. On y retrouve le défi de la reconstruction du pays, estimée à 800 milliards de dollars, l’urgence de l’aide humanitaire dans les zones les plus touchées par la crise économique, la fin des sanctions unilatérales américaines, le respect de la souveraineté syrienne et surtout l’importance de la lutte anti-terroriste.
Et c’est en cela que Damas condamne le comportement de la Turquie.
« Des résultats plus constructifs auraient pu être obtenus si Ankara avait rempli les engagements qu’elle avait pris envers la partie russe » de cesser de soutenir les takfiristes d’Idlib, a déclaré Ayman Susan.
Et ce alors que la résurgence des activités takfiristes dans ce pays du Moyen-Orient inquiète tous les acteurs.
« Erdogan a toujours joué un jeu trouble en Syrie », commente au micro de Sputnik Bassam Tahhan, géopolitologue franco-syrien et ancien professeur à l’École de guerre.
« Erdogan a une double posture sur le dossier syrien. D’un côté, il est l’ami des Occidentaux, via l’Otan. De l’autre côté, il participe au processus d’Astana avec les Russes et les Iraniens. Sauf qu’il veut garder une carte de pression dans les négociations avec la question kurde et les extrémistes d’Idlib. »
En effet, la province d’Idlib regorge de combattants takfiristes, principalement regroupés au sein de Hayat Tahrir al-Cham (HTS), ex-branche d’Al-Qaïda en Syrie, dirigé par Abou Mohammad al-Joulani.
Les autorités syriennes font état de plusieurs attaques contre les villes limitrophes d’Alep et de Hama: incendies criminels, attaques de transports de troupes, voitures piégées, enlèvements, prises d’otages…
« Parmi les terroristes présents dans la zone, il y a beaucoup de Turkmènes et des Maghrébins. Ils sont 20.000 à 30.000 takfiristes étrangers dans la province d’Idlib. C’est une bombe à retardement si le problème n’est pas traité », met en garde le géopolitologue.
« Il y a une connivence indéniable entre les différents groupes takfiristes présents dans la zone et Ankara », accuse Bassam Tahhan.
Pour tenter d’imposer son influence dans la zone et contrer toute velléité de reprise de la ville, la Turquie d’Erdogan y aurait envoyé plus de 15.000 soldats, à en croire The Brookings Institution, une ONG américaine.
La Turquie profiterait de surcroît de la crise pour enrôler des Syriens.
Recrutés à la frontière, ces mercenaires participeraient pour le compte d’Ankara à des actions dans le nord de la Syrie ou dans le Haut-Karabakh, pour un salaire mensuel d’environ 2.000 dollars et l’obtention de la nationalité turque.
Changements de la ligne turque en vue?
Mais, compte tenu de la crise économique actuelle en Turquie, la politique d’Ankara en Syrie pourrait évoluer. « Ankara n’a plus les moyens de ses ambitions », avance le spécialiste du Moyen-Orient.
En effet, la livre turque est plongée dans une zone de turbulences. Cette monnaie est courante dans la province d’Idlib qui l’avait acceptée en juin 2020 pour éviter les sanctions américaines contre la monnaie locale.
Mais, résultat de la chute de la livre, plus de 75% des habitants de la localité dépendent toujours de l’aide humanitaire. La province est peuplée d’environ quatre millions d’âmes. Les deux tiers sont des réfugiés syriens.
« La Turquie est obligée de revoir sa politique. Erdogan doit privilégier sa politique interne », constate Bassam Tahhan.
Depuis plusieurs mois, Erdogan a remisé sa tenue de militaire pour endosser l’habit du diplomate. Il se réconcilie avec ses anciens adversaires régionaux pour tenter de freiner la crise qui se profile sur son économie.
Adversaire d’Ankara pendant une décennie, Mohammed Ben Zayed, homme fort des Émirats arabes unis, a été accueilli en novembre dernier dans la capitale turque.
Abou Dhabi y a même signé plusieurs contrats de coopération pour un montant de 10 milliards de dollars.
La Turquie aurait de surcroît commencé à prendre quelque peu ses distances avec les Frères musulmans pour se rabibocher avec l’Égypte.
Cette conjoncture d’apaisement régional serait en effet propice à une désescalade dans le dossier syrien.
« Erdogan va finir par rentrer dans les clous, il est obligé de faire un appel d’air pour son économie vacillante. C’est le serpent qui se mord la queue », estime Bassam Tahhan.
L’arabiste reste toute de même prudent, Erdogan « n’ayant peut-être pas dit son dernier mot sur la Syrie ».
Il ne reste plus qu’à savoir si la Turquie respectera les nouvelles clauses du processus d’Astana.
Source: Avec Sputnik