Une grande question s’impose avec l’affaire Karish : quelle va être la réaction de la résistance au Liban.
Depuis que la plateforme de la firme grecque Energean Power a jeté l’ancre dans le gisement Karish, afin d’entamer les travaux de forage dans cette zone maritime frontalière entre le Liban et la Palestine occupée, contestée par le Liban, les appels fusent de la part de différents acteurs politiques libanais demandant à la résistance de riposter.
Certaines de ces sollicitations sont des surenchères de la part d’acteurs qui n’ont d’autres à faire que de coincer la résistance voir de l’embarrasser. Lui demandant ce qu’elle attend pour riposter.
D’autres sont bien plus sérieuses et plus sincères, et reflètent une réelle volonté chez les Libanais d’affronter les velléités israéliennes de s’emparer de leurs ressources d’hydrocarbures maritimes, en profitant de la couverture que leur procure l’influence des Etats-Unis au pays du cèdre.
Au Liban, on est de plus en plus persuadés que les Américains font tout pour empêcher le Liban de profiter de ses richesses, via des agents locaux ou des acteurs politiques qui les craignent. Ou en faisant pression sur les compagnies auxquelles les blocs ont été attribués pour entrainer l’échéance de leur exploitation dans des atermoiement interminables. De même, les Américains utilisent la crise économique que traverse le Liban pour imposer une démarcation des frontières à l’avantage des Israéliens, et au détriment des droits libanais. Ils ont par exemple conditionné les livraisons de gaz et d’électricité depuis l’Egypte à l’acceptation de leurs conditions pro israéliennes.
Dans ses récents discours, avant l’arrivée de la plateforme grecque, le secrétaire général du Hezbollah sayed Hassan Nasrallah s’est longuement attardé sur l’importance de lancer l’exploitation des ressources pétrolières et gazières en méditerranée, estimant que c’est « le trésor enfoui du Liban » et « sa planche de salut pour le sortir de sa crise économique et financière ». Il a insisté qu’il fallait prendre des positions courageuses et en position de force, pour d’aller de l’avant, assurant que la résistance fera le nécessaire pour les soutenir.
Depuis l’embarquement de cette plateforme , plusieurs responsables du Hezbollah ont insisté sur la nécessité que l’Etat libanais décide une fois pour toutes quelles sont les frontières maritimes avec la Palestine occupée.
Trois lignes ont été tracées: la 1 dans un accord bilatéral avec Chypres, en 2007, de la part du gouvernement de Siniora, mais qui n’a jamais été ratifié par le Parlement libanais. La ligne 23 en 2011, plus au nord, qui accorde au Liban 860 km2 supplémentaires par rapport à la ligne 1, et dont les deux décrets signés et approuvés ont été envoyés à l’ONU. Elle a été contestée par ‘Israël’ qui veut s’en tenir à la ligne de Siniora. Puis celle de 29, tracée en 2019 par l’armée libanaise avec la consultation d’une équipe britannique et qui accorde plus de 1400 km2 supplémentaires aux 860 km2 de la précédente.
Cette dernière ligne exige toutefois un amendement du décret 6433 de la part du chef de l’Etat Michel Aoun. Mais ce dernier hésite à le signer, avant de l’envoyer de nouveau à l’organisation onusienne. Ce qui fait dire à certains observateurs que cette nouvelle ligne a été destinée dès le début à s’armer d’une position maximaliste pour les négociations.
Avec l’arrivée de la plateforme grecque à Karish, M. Aoun fait l’objet de demandes pressantes pour le faire. Il a rappelé avoir envoyé une missive au secrétariat général du Conseil de sécurité des Nations unies, publiée sur son site, assurant qu’il n’y a pas de zone économique exclusive attestée, contrairement aux allégations israéliennes et contestant les travaux de forage qui pourraient constituer une menace pour la paix et la sécurité.
Il a demandé à l’armée libanaise de s’enquérir pour localiser l’endroit où elle a accosté.
Sachant que le problème réel ne réside pas dans l’endroit où elle accoste pour entamer ses travaux d’extraction de gaz, mais dans l’emplacement du gisement en question, s’il se trouve ou pas dans une zone contestée.
La résistance aussi s’est intéressée à l’endroit où la plateforme a arraisonné.
Citant des sources de la résistance islamique, Ibrahim al-Amine, le rédacteur en chef du quotidien libanais al-Akhbar proche du Hezbollah rapporte que le navire grec n’a même pas accosté à la limite de la ligne 29. « Ce qui veut dire qu’il a évité de provoquer le Liban, de son plein gré », d’après lui. Et ce à la demande de l’institution militaire et sécuritaire israélienne qui a mis en garde contre un positionnement qui puisse enclencher une confrontation directe avec le Hezbollah, d’autant qu’il a les moyens de viser les plateformes voire même tout corps en action dans le cadre des travaux de forage.
Le commandement israélien avait été averti, rapporte al-Amine, via plusieurs médiateurs, que le Hezbollah est très sérieux et suit de très près cette question, surtout si ‘Israël’ compte imposer des faits accomplis.
Selon al-Amine, « la résistance qui a exprimé être prête à toutes les éventualités, corrèle sa démarche à plusieurs choses : « la position définitive du Liban sur la démarcation des frontières maritimes, laquelle dépend des tractations avec les Américains, et le degré d’implication de l’ennemi dans des démarches non calculées qui rendent la confrontation inévitable ».
Une troisième situation pourrait aussi pousser à la résistance à passer à l’acte, fait-il remarquer : « Se contenter d’une notification de la part des autorités libanaises, faisant part qu’Israël usurpe les droits du Liban, pour entreprendre la démarche la plus appropriée pour empêcher l’ennemi d’opérer en mer, et peut-être plus que cela ».
Pour le moment, les autorités libanaises s’en tiennent à vouloir relancer la première démarche. Elles ont demandé à Amos Hochstein, le médiateur américain (qui détient aussi la nationalité israélienne) de revenir au Liban pour discuter de la démarcation. Il devrait arriver le dimanche ou le lundi prochain, selon le chef du Parlement Nabih Berri.
Le mois de février dernier, il avait fait une proposition sur ce dossier qui avait été rejetée par le Hezbollah et le mouvement Amal.
Sa solution préconisait une transaction en dehors des lignes de démarcation 23 et 29, et promeut le départage de la production gazière ou pétrolière dans cette zone entre le Liban et ‘Israël’, via des compagnies internationales et un mécanisme défini d’avance, selon des experts.
Tout en feignant négocier sur la ligne 23, dans la continuité de son prédécesseur négociateur américain Frederic Hof, qui avait proposé son partage avec ‘Israël’ de l’ordre de 55% pour le Liban et 45% pour l’entité sioniste, Holchstein propose 50 km2 de plus au Liban, mais suggère que le gisement Qana situé au nord de la ligne 29 devrait être accordé entièrement à ‘Israël’.
Des observateurs constatent que la ligne de démarcation suivi par le médiateur américano-israélien est en zigzag, aux confins avec le bloc 8, situé au sud du bloc 9 et dont l’exploration n’a encore été attribuée à aucune compagnie pétrolière.
Le blocage sur la question de démarcation des frontières maritimes et de l’exploitation des hydrocarbures, exacerbé par les démarches des Israéliens qui n’en font qu’à leur tête dans les régions contestées, est devenu certes insoutenable.
Un dilemme qui n’échappera pas au prochain discours du secrétaire général du Hezbollah sayed Hassan Nasrallah, fixé pour le jeudi 9 juin.
Source: Divers