L’ambassadeur de l’Arabie saoudite au Liban s’est attiré les foudres des tribus sunnites de la région de la Bekaa qui ont exigé son éviction. Alors qu’il prépare le terrain pour lancer une nouvelle campagne pour le désarmement de la résistance.
Invité le mardi 1er novembre dans la localité al-Faour, où une cérémonie avait été organisée pour sa réception, Walid al-Boukhari a commis ce qui a été considéré comme une insulte pour les tribus, rapportent les médias libanais: A peine est-il arrivé à l’entrée de la localité, il a décampé sans donner des explications sur le champ.
Dans une première version rocambolesque, on a rapporté que Boukhari aurait refusé de descendre de sa voiture et de marcher devant les chevaux arabes qui ont défilé en son honneur.
Après cet incident, à la place du festival de réception pour l’ambassadeur, une rencontre a été organisée pour attaquer le diplomate saoudien et expliquer davantage ce qui s’était réellement passé.
« Toi Walid al-Boukhari, tu n’es qu’un fonctionnaire au royaume arabe saoudien, tu n’as pas respecté la dignité des tribus, les tribus de tout le Liban. Elles se sont rassemblées depuis le matin pour t’attendre, avec les fleurs et les youyous. Tu arrives à la première tente et tu t’en vas. Ce ne sont pas les bonnes mœurs des gens du royaume saoudien. Il semble que tu n’es pas saoudien. Toi, je ne sais pas ce que tu es. Mais nous demandons au royaume de démettre de ses fonctions son ambassadeur au Liban », a clamé Baha’ al-Majbal, un membre éminent de ces tribus, ex-candidat pour le siège sunnite aux législatives à Zahlé et connu pour être proche du courant du Futur.
Le message des partisans du Futur
Des sources proches de l’ambassade saoudienne à Beyrouth ont expliqué la position de l’ambassadeur.
« A peine arrivé sur les lieux, l’équipe sécuritaire de l’ambassade a décidé de les quitter en raison d’informations selon lesquelles des problèmes sécuritaires dans les entrées de la localité sont survenus entre les tribus », ont-elles rapporté pour le site libanais d’information « Liban le Grand ». Insistant sur la relation privilégiée que l’Arabie accorde aux tribus libanaises.
Mais selon des sources informées, ces problèmes avaient été causés volontairement par des partisans du Futur. « L’ambiance laissait entrevoir qu’ils voulaient envoyer un message à l’ambassadeur en public, dans la tente centrale qui a rassemblé des délégations claniques, venues des différentes régions libanaises, ainsi que des responsables, des députés et des religieux ».
La relation est au plus mal entre les dirigeants saoudiens et surtout le prince héritier Mohamad ben Salmane d’une part et le courant du Futur, ce parti fondé par le défunt Rafic Hariri , un allié de longue date des Saoudiens. Et ce depuis 2017, lorsque son successeur Saad Hariri qui était alors Premier ministre dans le cadre d’un cabinet de coalition, a été détenu à Riyad et obligé à présenter sa démission. L’Arabie lui reprochant de ne pas être parvenu à écarter le Hezbollah de la vie politique. Ayant été libéré après un mouvement de solidarité inédit de la part de ce dernier, du Courant patriotique libre et d’autres partis, et grâce à une médiation française, Saad Hariri s’est progressivement écarté de la vie politique, laissant le champ libre aux Saoudiens de tenter eux-mêmes de parvenir à leur fin, avec l’aide de leurs alliés. En tête Samir Geagea, le chef des Forces libanaises.
Depuis le retour au Liban de l’ambassadeur saoudien Boukhari, le mois d’avril dernier, ses déplacements ont connu une effervescence qui ne peut passer inaperçu.
Ses visites visent entre autres et surtout la communauté sunnite, ses localités et villages, ses notables et ses tribus . Le mois passé, il s’était rendu au nord du Liban. Sa visite dans la Békaa est la deuxième étape de sa tournée où les ingérences politiques battent leur plein.
Le « carnaval » de l’accord de Taef
Officiellement, l’Arabie soaudienne affiche vouloir protéger l’accord de Taef de 1989, qu’elle avait parainnée en 1990 pour mettre fin à la guerre civile de 15 années au Liban.
Une cérémonie sera organisée le samedi prochain 5 novembre dans le palais de l’Unesco, « un carnaval » selon al-Akhbar, pour riposter « à la campagne dont fait l’objet l’accord de l’entente nationale (en allusion aux accord de Taef, ndlr) de la part du Hezbollah et du Courant patriotique libre qui aspirent à réaliser une nouvelle conférence fondatrice », selon un organisateur de cette cérémonie. Y ont déjà été conviés ceux qui avaient participé aux accords de Taef, dont l’ex-chef du Parlement Hussein al-Husseini, le président de la commission tripartite arabe de 1989, l’Algérien Lakhdar al-Ibrahimi ainsi que des députés et des personnalités.
De nouveau l’armement de la résitance
Selon le journal al-Akhbar, le but réel de cette rencontre -et des rencontres- est de cibler l’armement de la résistance au motif de « désarmer toutes les milices » sous couvert de défendre cet accord . Le quotidien rapporte que durant la semaine passée, l’ambassadeur saoudien n’a pas arrêté de faire des contacts et des rencontres sans compter les tweets postés sur son compte avec pour thème central la défense de l’accord de Taef. Il a fait part aux alliés de son pays au Liban de faire de même.
Le journal libanais s’attend à ce que les discours des intervenants s’attaquent au Hezbollah, en lui faisant assumer la responsabilité de la crise que le Liban traverse et en l’accusant de vouloir le livrer à « l’occupation iranienne ». Un scénario sanguinaire similaire à celui de Tayyouné n’est pas non plus à exclure, dans le but d’isoler le Hezbollah, suppose aussi al-Akhbar.
A la recherche d’un président
Il faut aussi s’attendre à ce que l’ambassadeur saoudien s’emploie, comte tenu de la vacance présidentielle, pour imposer un chef de l’Etat qui soit hostile au Hezbollah et fidèle à son royaune qui a toujours reproché au président sortant Michel Aoun sa promiscuité avec le parti de la Résistance libanaise.
Ses derniers propos ne laissent aucun doute: « Les relations saoudo-libanaises s’amélioreront une fois que les forces politiques représentées au Parlement auront élu un nouveau président pour le Liban qui rétablira la confiance avec les pays arabes », a-t-il dit récemment. Les questions tournent autour du candidat des Saoudiens, sachant qu’il est impossible que leur favori Samir Geagea puisse être élu. Ce dernier étant aussi bien la bête noire du camp du 8 mars, du CPL que des partisans du courant du Futur.
Avec sa débacle dans la localité d’al-Faour, l’ambassadeur saoudien ne semble pas avoir la chance de son côté. Il en a pressemment besoin pour mener à bien sa mission, là ou les autres ont échoué: désarmer le Hezbollah et l’affaiblir. Faute de quoi, il risque bien, la prochaine fois qu’il rentrera au royaume, de ne plus jamais revenir au Liban.
Source: Divers