Dans l’ombre de la bataille de Mossoul, fief irakien du groupe Etat islamique (EI), des rebelles syriens soutenus par l’armée turque sont entrés jeudi dans le centre d’Al-Bab, bastion jihadiste dans le nord de la Syrie.
Plusieurs groupes rebelles ont affirmé que ce dernier bastion de l’EI dans la province d’Alep avait été pris, mais Ankara a indiqué que des « opérations de ratissage » se poursuivaient.
Située à 25 kilomètres au sud de la frontière turque, cette ville d’environ 100.000 habitants est devenu un enjeu stratégique pour plusieurs acteurs du conflit.
Que représente Al-Bab pour l’EI ?
Pour l’EI, Al-Bab (« la porte », en arabe) a longtemps été l’un des points de chute des jihadistes venus de l’étranger pour gonfler ses rangs. Le groupe a fortifié la ville, d’où il a lancé des attaques en Syrie et planifié des attentats ayant ensanglanté l’Europe.
Preuve de son importance à ses yeux, l’organisation ultra-radicale y a opposé une farouche résistance alors qu’elle s’était retirée, sans coup férir ou presque, de plusieurs localités du nord de la Syrie devant l’avancée des forces d’Ankara.
La Turquie y a subi ses plus lourdes pertes depuis le déclenchement de son offensive, qui a coûté la vie à 69 de ses militaires, et a été contrainte d’y dépêcher des vagues de renforts à mesure que les opérations se prolongeaient.
« C’est une véritable place forte du groupe terroriste et un verrou sur la route de Raqqa », la « capitale » autoproclamée de l’EI en Syrie, souligne Fabrice Balanche, géographe français spécialiste du pays.
La perte de cette ville, conquise par les jihadistes début 2014, priverait l’EI d’un centre de commandement et « d’une importante source de revenu à travers les taxes », explique à l’AFP Aaron Stein, chercheur au centre de réflexion Atlantic Council basé à Washington.
Pourquoi Ankara veut Al-Bab ?
La Turquie a désigné Al-Bab comme l’objectif final de l’opération « Bouclier de l’Euphrate ». Pour le gouvernement d’Ankara, prendre cette ville permettrait d’établir un tampon entre les différents territoires contrôlés dans le nord de la Syrie par des groupes kurdes qu’il qualifie de « terroristes ».
Les milices kurdes syriennes YPG voient en effet Al-Bab comme le trait d’union entre leurs cantons d’Afrin et Kobane, et ont longtemps fait la course avec les rebelles pro-Ankara pour s’en emparer.
La bataille d’Al-Bab représente aussi un enjeu majeur de politique intérieure en Turquie, à quelques semaines d’un référendum, le 16 avril, sur une révision constitutionnelle visant à renforcer les pouvoirs du président Recep Tayyip Erdogan.
Dans ce contexte, les dirigeants turcs ont gonflé leur rhétorique martiale pour électriser l’électorat nationaliste. Les médias turcs rapportent chaque matin le bilan des affrontements de la veille et diffusent en direct les funérailles des « martyrs » tombés en Syrie.
Mais alors que les combats se sont prolongés ces dernières semaines et que l’armée turque a semblé enlisée à Al-Bab, le gouvernement a été vivement critiqué par l’opposition.
« Ils enfoncent la Turquie dans le bourbier syrien à des fins de politique intérieure. La vie des enfants de cette nation vaut plus que cela », a ainsi déclaré mercredi la porte-parole du principal parti d’opposition (CHP), Selin Sayek Boke.
Et après Al-Bab ?
Le président Erdogan a dit à plusieurs reprises qu’après Al-Bab, les forces d’Ankara avaient l’intention de se diriger vers Minbej, aux mains des Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition arabo-kurde dont font partie les YPG, puis vers Raqqa.
La Turquie voit d’un mauvais œil le soutien apporté par les Etats-Unis aux FDS pour combattre l’EI. Ankara propose à Washington de lancer une offensive conjointe contre Raqqa, en appui à des rebelles syriens pro-turcs.
« Ce que nous voulons, c’est que l’opération de Raqa soit menée non pas avec les terroristes des YPG, mais avec l’Armée syrienne libre », a rappelé jeudi le ministre turc de la Défense Fikri Isik.
Dans ce contexte, la bataille d’Al-Bab sert de test pour « prouver l’efficacité de l’armée turque et de ses alliés aux Etats-Unis » en vue d’une offensive conjointe à Raqqa, souligne M. Balanche.
Source: AFP