« Assalamou Alaykoum sayydi ar-Ra’is (monsieur le président) », c’est par ces paroles en arabes que le général américain David Petraeus, a salué le président syrien intérimaire Ahmad al-Charaa lors d’une rencontre au sommet du Concordia à New York. Et de rajouter : « Nous sommes honorés monsieur » pour ce qui est présumé être la première rencontre entre eux.
Pourtant, les deux hommes se sont trouvés pendant longtemps au même moment et au même endroit. A savoir en Irak.
Entre 2003, date de l’invasion américaine de ce pays, et 2010 la fin de ses missions dans ce pays, Petraeus a commandé la 101e division aéroportée et l’offensive sur Bagdad, a poursuivi en occupant le nord (2004), puis été chargé de créer et d’organiser les Forces armées irakiennes (2005). Entre 2007 et 2012, il est désigné à la tête de la coalition militaire en Irak (2008), puis du Centcom, (United States Central Command, le commandement central qui supervise les opérations en Irak et en Afghanistan) (2010).
C’est juste en 2003 qu’al-Charaa, ce syrien né en Arabie saoudite s’est rendu en Irak. Connu alors sous le sobriquet d’Abou Mohammad al-Joulani, après avoir rejoint les rangs du groupe djihadiste Saraya al-Moudjahidine qui a fait allégeance à Al-Qaïda, il a été incarcéré par les forces américaines, dans leurs camps d’Abou Ghreib puis Bucca. C’est dans cette dernière qu’il va faire sa rencontre avec Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’EI (Daech) et tous les autres chefs jihadistes.
Selon une certaine version des faits, sa libération et la leur seraient intervenues en 2009, au milieu du mandat de Petraeus à la Centcom, date à laquelle ce dernier va fermer le camp Bucca définitivement.
Lui et ses compagnons de route étaient tous connus pour être les caciques d’Al-Qaïda en Irak et au Levant et pour être la bête noire des USA . Leur libération aurait dû coûter la tête à Petraeus mais ceci n’a jamais eu lieu. Bien au contraire, une fois sa mission terminée en Irak, il sera nommé à la tête de la CIA.
« Nous étions en désaccord lorsque je dirigeais l’augmentation des troupes en Irak… Pourriez-vous nous aider à comprendre comment vous êtes passé d’Al-Qaïda en Irak il y a vingt ans à votre situation actuelle ? » a demandé Petraeus à Joulani. Il a certes fait le modeste, sa mission en Irak bien allait bien au-delà d’augmenter les troupes à cette époque-là.
Ayant été le geôlier et le libérateur de Joulani, selon certains observateurs, celui-ci devrait lui être reconnaissant.
« C’est bien. À un moment donné, nous étions dans le champ de la guerre et maintenant nous sommes passés à celui du dialogue », a-t-il dit, évitant de souligner qu’ils étaient en conflit.
« Nous ne pouvons pas juger le passé à l’aune des règles d’aujourd’hui, ni juger le présent à l’aune des règles du passé », a-t-il dit sur la même longueur d’ondes de son interlocuteur. « Ceux qui ont combattu connaissent mieux que quiconque l’importance de la paix », a-t-il ajouté. L’on croirait que la page est désormais tournée.
Et Petraeus de lui exprimer son admiration et sa préoccupation, dans une autre question : « Comment gérez-vous toute cette pression ? Dormez-vous suffisamment la nuit ? J’ai vécu la même chose, et c’est très difficile. Et avec autant d’admirateurs, dont moi, nous sommes inquiets. »
Et Charaa qui lui aurait dit que « ma mission aujourd’hui en Syrie est plus difficile que votre mission en Irak apres 2003 », comme s’ils ont toujours combattu dans la même tranchée.
Puis Petraeus de dire sur la même longueur d’onde : « Lorsque je combattais l’organisation d’Al-Qaïda j’enquêtais sur votre groupe Jabhat Tahrir al-Cham et je disais que nous pouvons travailler avec ces gens-là car ils sont nationaux et aujourd’hui, il y a beaucoup d’espoir ».
En fait, à son retour en Syrie en 2011, Joulani avait fondé Jabhat al-Nosra (Front al-Nosra), sur l’ordre de Baghdadi. Et ce n’est qu’après avoir rompu avec ce dernier, en se mettant sous la protection du chef d’Al-Qaïda Ayman al-Zwahiri, puis rompu avec ce dernier, qu’il va rebaptiser son organisation Jabhat Fateh al-Cham, puis Hayat Tahrir al-Cham.
Petraeus aurait confondu entre toutes ces appellations.
Hormis ces paroles de courtoisie, les deux hommes auraient parlé de l’avenir de la Syrie, de l’unification des factions armées, des kurdes et des minorités, de la reconstruction de l’Etat syrien et surtout des tractations avec Israël, qu’al-Charaa a taxées de « très difficiles » quoiqu’elles « progressent vers un règlement » surtout pour la paix avec Tel Aviv.
C’est tout ce qu’on saura de cette rencontre selon ce qui a été rapporté par les médias.
Selon des sources, Petraeus a bel et bien connu Joulani avant cette rencontre. Même s’il ne l’a pas rencontré en face à face. Il l’aurait recruté dans les prisons irakiennes qu’il gérait puis a ordonné sa libération aux autorités irakiennes qui avaient un certain moment récupéré les prisonniers du camp Bucca près sa fermeture.
Selon cette autre version des faits véhiculée sur cette libération, elle serait intervenue après une campagne menée contre le gouvernement irakien par Amnesty International et Human Right Watch de détenir plus de 30 mille prisonniers.
Le retour de Joulani en Syrie va coïncider avec la libération des prisonniers djihadistes de la prison syrienne de Seydnaya, sous les pressions exercées sur l’ex-président syrien Bachar al-Assad.
Selon ces sources, à la tête de la CIA, David Petraeus a continué de superviser le Front Al-Nosra entre 2011-2012. Avant d’être suspendu de ses fonctions, puis arrêté, jugé et condamné à deux ans de prison avec sursis pour une affaire d’adultère, mêlée de détention et de transmission d’informations classifiées.
A noter que Petraeus s’est consacré en 2005 à réécrire « le manuel de contre-insurrection de l’armée américaine pour lequel il s’inspire des méthodes militaires françaises de David Galula et Hubert Lyautey ».
Il s’agit « d’une doctrine militaire qui vise à obtenir le soutien de la population dans le cadre d’un conflit opposant un mouvement insurgé à une force armée gouvernementale de contre-insurrection. Elle se fonde sur des actions civilo-militaires, le renseignement, la guerre psychologique et le blocus du territoire. »
Source: Divers