En tout et pour tout le secrétaire d’Etat américain Rex Tillerson a passé 7 heures de tractations avec les dirigeants russes, dont deux heures avec le président Vladimir Poutine.
Les cinq autres, il les a passées avec son homologue russe Serguei Lavrov.
Parmi les principaux sujets évoqués: la Syrie, l’Ukraine, la Corée du Nord et les relations bilatérales.
Une leçon aux journalistes US
Selon l’agence Sputnik, le dialogue entre les deux diplomates n’a pas commencé de manière habituelle. Dès l’arrivée des chefs de diplomatie dans la salle d’accueil de la résidence du ministère des Affaires étrangères, les journalistes ont commencé à poser des questions au ministre russe alors qu’une conférence de presse était prévue pour ce faire à l’issue de l’entretien.
« Mister Lavrov! Mister Lavrov! », « Est-il vrai que vous soutenez le gouvernement syrien? Comment pouvez-vous commenter la déclaration faite hier par la Maison-Blanche? ».
« Qui vous a éduqué? », a réagi Lavrov. Il a dû répéter la question plusieurs fois avant que les journalistes ne l’entendent.
Puis le silence s’est installé dans la salle.
Une visite opportune
Avant le début de l’entretien Lavrov a souligné que Moscou avait accumulé de nombreuses questions concernant les récentes déclarations des USA concernant aussi bien les relations bilatérales que les problèmes internationaux. Il a souligné que la Russie était prête à coopérer avec les USA sur une base constructive et équitable.
« C’est notre ligne conséquente, formée strictement dans le cadre du droit international et non sous l’impact de la conjoncture immédiate », a souligné le ministre russe.
Moscou juge « non productif de s’enfermer dans le cadre d’alliances fermées », a noté le ministre. D’après Lavrov, « la Russie a fait part à plusieurs reprises de sa position aux collègues américains et elle est bien connue à Washington, y compris de vous ».
Il a également qualifié la visite de Tillerson « d’opportune » car permettant de tenter « sincèrement et honnêtement d’éclaircir les perspectives de coopération dans ces domaines, notamment pour former un large front antiterroriste ».
Établissement d’un dialogue
De son côté, le secrétaire d’État américain a dit espérer que son entretien avec Lavrov aiderait Moscou et Washington à établir un dialogue ouvert et permettrait « d’expliquer et d’exprimer les points » où les positions de la Russie et des USA divergent.
« Cette réunion se déroule effectivement à une période très importante pour nous, alors que nous essayons d’expliquer nos positions respectives et de parler des domaines où nos objectifs et nos tâches sont communs et nos intérêts coïncident en dépit des différences de nos approches tactiques », a noté Tillerson.
Et d’ajouter que pendant l’entretien, il était prévu d’évoquer « plusieurs questions très larges et très importantes ».
Rencontre avec Poutine
On ignorait jusqu’au dernier moment si le président Vladimir Poutine recevrait Tillerson, mais le porte-parole du chef de l’État russe Dmitri Peskov n’avait pas écarté cette éventualité.
« Si dans le courant de la journée on jugeait utile de rapporter le résultat de cet entretien au président, nous vous en informerions de manière appropriée… », a-t-il déclaré aux journalistes.
Par la suite, il a été annoncé que cette réunion aurait bien lieu.
Selon Sputnik, les interlocuteurs ont reconnu que la Russie et les USA étaient intéressés à régler la crise syrienne par les moyens politiques.
« La Russie et les États-Unis ont un intérêt commun dans le règlement politique de la crise syrienne », a déclaré M. Lavrov à l’issue de cette rencontre.
« Outre la lutte contre le terrorisme dans la région et ailleurs, nous sommes intéressés à trouver une solution politique de la crise syrienne. La Russie et les États-Unis ont dirigé pendant des années les efforts internationaux visant à trouver des compromis, à réunir les parties en conflit syrien et des acteurs étrangers à la table des négociations sous l’égide de l’Onu », a indiqué le ministre lors d’une conférence de presse.
Il a qualifié d’irréfléchies les tentatives de brouiller la Russie et les États-Unis.
« Nous voyons les tentatives d’entraver notre coopération, d’aggraver la confrontation. Nous considérons cette approche comme imprévoyante. L’histoire a démontré que la coopération entre Moscou et Washington profitait à nos peuples et au monde entier », a noté le ministre russe.
« Nous avons confirmé notre disposition à mener une lutte sans merci contre le terrorisme international. Les Présidents de nos pays ont évoqué ce sujet lors de plusieurs entretiens téléphoniques, y compris dans la nuit du 3 au 4 avril dernier, lorsque Donald Trump a appelé Vladimir Poutine pour lui exprimer ses condoléances suites à l’attentat dans le métro de Saint-Pétersbourg », a indiqué M. Lavrov.
Les divergences subsistent
M. Lavrov a souligné qu’à l’heure actuelle les positions de Moscou et de Washington sur la question de la culpabilité de Damas concernant l’utilisation d’agents chimiques à Idlib « divergeaient ».
Sa déclaration a été tout de suite confirmée par son homologue américain, qui a affirmé que le bombardement US contre la base aérienne de Chaayrate était justifié, notant que Washington était au courant de faits concrets.
« Les frappes effectuées contre la Syrie étaient justifiées, et elles visaient les forces syriennes. Nous sommes sûrs et convaincus de ces faits », a déclaré M. Tillerson lors d’une conférence de presse après des pourparlers, évoquant des preuves présumées concernant l’implication de Bachar el-Assad dans l’attaque chimique à Idlib.
À son tour, Sergueï Lavrov a estimé qu’en ce qui concerne l’attaque chimique à Idlib il fallait suivre le principe de présomption d’innocence, soulignant que la Russie insisterait en faveur d’une enquête internationale.
Il a proposé « d’envoyer un groupe international d’experts compétents et impartiaux sur les lieux où les agents chimiques ont été diffusés, et à l’aérodrome, qui, selon les Américains, a été utilisé pour y envoyer des obus bourrés de produits chimiques à bord d’avions».
Le diplomate russe a également fait savoir que la Russie appelait l’Onu et l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) à ne pas « escamoter » l’enquête.
« Je tiens à souligner que nous sommes convaincus à 100 % que si nos homologues des Nations unies et de La Haye escamotent cette enquête, cela signifiera, en effet, qu’ils ne veulent pas établir la vérité », a déclaré M. Lavrov.
Rétablissement du mémorandum
Toujours à l’issue de la rencontre avec M. Poutine, le chef de la diplomatie russe a fait savoir que le chef de l’État a confirmé la volonté de la Russie de retourner au mémorandum sur la prévention des incidents en Syrie.
M. Lavrov a rappelé que la Russie avait temporairement arrêté de suivre le mémorandum sur la prévention des incidents et la sécurité des vols en Syrie après la frappe de missiles US contre la base aérienne en Syrie.
Le mémorandum est entré en vigueur en octobre 2015. Il contient un ensemble de règles et de restrictions qui visent à prévenir des incidents entre les aviations russe et américaine. Dans le cadre du document, les deux pays ont établi une ligne de communication d’urgence 24 heures sur 24 et sept jours sur sept et ont défini un mécanisme d’interaction, avec une assistance mutuelle dans des situations de crise.