Quatre années sans parlementaires russes, plus d’un an sans financement de Moscou: le Conseil de l’Europe cherche difficilement une sortie de crise avec la Russie, au risque de porter un coup aux sanctions prises après l’annexion de la Crimée.
La commission du règlement de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a chargé lundi la sénatrice belge Petra De Sutter de préparer un rapport sur « des propositions relatives à la contestation et au réexamen des pouvoirs et/ou droits de représentation et de participation des délégations nationales ».
Le sujet de cette « tâche délicate », selon les mots de la sénatrice, semble large, mais l’objectif est clair: changer les règles pour rendre possible un retour en 2019 d’une délégation russe dans cette assemblée.
Dénuée de pouvoirs contraignants, l’APCE, qui rassemble 324 parlementaires des 47 pays membres du Conseil de l’Europe, siège quatre semaines par an à Strasbourg, émettant des recommandations ou demandant des comptes aux gouvernements sur les droits de l’Homme ou la démocratie.
En guise de sanction à l’annexion de la Crimée en 2014, elle avait suspendu les droits de vote des 18 parlementaires russes.
Depuis, la Russie n’a pas eu son mot à dire sur le choix de la Commissaire aux droits de l’Homme et de plusieurs juges de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), bras judiciaire de la plus vieille institution européenne, créée en 1949.
« En 2014, l’expulsion (des parlementaires russes) de l’APCE avait semblé être une bonne idée mais on ne sait pas comment s’en sortir », reconnaît une source diplomatique.
Budget serré
Si ces parlementaires restent écartés de l’APCE en 2019, ils ne participeront pas non plus à l’élection du prochain secrétaire général du Conseil, alors que le mandat quinquennal du Norvégien Thorbjorn Jagland s’achève dans un an.
« S’ils font ça sans nous, nous trouverons difficile de fonder nos actions sur la légitimité » d’organisations dont les responsables ont été choisis « en l’absence de délégués russes, qui ont été discriminés et privés de leurs droits de vote », a critiqué le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov.
Ces sanctions ont aussi des conséquences financières puisque Moscou a répliqué en cessant depuis juin 2017 de verser ses 33 millions d’euros annuels au Conseil de l’Europe, soit 8% environ du budget.
Pas de quoi l’étrangler financièrement mais un manque à gagner suffisant pour peser sur le fonctionnement de l’institution. « On se serre la ceinture, des activités ont été abandonnées », reconnaît une employée.
« Ce que fait la Russie n’est pas acceptable et s’apparente à du chantage budgétaire », estime la source diplomatique interrogée.
Au bout de deux ans sans paiement, le comité des ministres, organe exécutif du Conseil, pourrait engager une procédure pour exclure la Russie, ce qui serait une première.
Recul sur le front des sanctions
Un départ de la Russie du Conseil de l’Europe, et par ricochet de la CEDH, serait « un très grand retour en arrière », voire « un problème existentiel » pour l’institution, explique-t-on de même source diplomatique.
Mais « si la Russie est réintégrée, ce serait un des premiers reculs significatifs sur le front des sanctions et vécu comme un échec pour les Ukrainiens », ajoute cette source.
Kiev est vent debout contre une éventuelle réintégration. « Au lieu de demander à la Russie de mettre en œuvre les résolutions de l’APCE, on cherche des manières de s’adapter aux exigences russes », a critiqué auprès de l’AFP Dmytro Kuleba, représentant permanent de l’Ukraine auprès du Conseil de l’Europe.
« Si on affaiblit le mécanisme de sanction, on ôte le levier d’action disponible contre les pays qui enfreignent le respect des droits de l’Homme », condamne-t-il.
« Les raisons pour lesquelles des sanctions ont été décidées en 2014 n’ont pas disparues, rien n’a changé, à part que du temps est passé. Donc de ce point de vue, un retour de la délégation russe serait problématique pour la crédibilité de l’APCE et du Conseil », analyse Lauri Meksoo, professeur de droit international à l’Université de Tartu, en Estonie.
Le rapport de Petra De Sutter sera discuté par la commission du règlement le 20 septembre et pourrait donner lieu au vote d’une résolution lors de la session plénière de l’APCE, début octobre.
Source: AFP