La Russie a fait un nouveau pas en avant vers la dédollarisation de son économie: le ministère des Finances a annoncé ce 27 novembre l’émission d’obligations libellées en euros pour un montant d’un milliard d’euros – et la demande a dépassé l’offre.
Pourquoi le ministère des Finances fait-il appel aux emprunts extérieurs en euros et quelle devise a le plus de chances de prendre la place du dollar dans les transactions avec Moscou?
Des paroles aux actes
Les premiers résultats de la mise en œuvre de la politique de dédollarisation de l’économie ont dépassé les attentes les plus audacieuses des analystes. Début novembre, le vice-premier ministre russe Iouri Borissov a déclaré que Moscou vendrait des systèmes antiaériens S-400 Triumph à l’Inde en roubles. Le contrat s’élève à près de 331 milliards de roubles (soit près de 4,4 milliards d’euros).
Quelques semaines plus tard, Saint-Pétersbourg a accueilli le premier forum d’affaires russo-indien auquel ont participé les représentants des plus grandes compagnies des deux pays, ainsi que les dirigeants des services responsables de la coopération économique bilatérale.
«Nous n’avons pas pour objectif d’abandonner le dollar, c’est le dollar qui nous abandonne. Et ceux qui prennent ces décisions se tirent une balle non plus dans le pied, mais plus haut, parce qu’une telle instabilité dans les paiements en dollars donne envie à de nombreuses économies de trouver des monnaies de réserve alternatives et de créer des systèmes de paiement indépendants du dollar», a déclaré Vladimir Poutine pendant le forum de VTB Capital intitulé «La Russie appelle!» fin octobre.
Il avait ajouté qu’un travail actif était mené avec les principaux partenaires commerciaux du pays pour créer une alternative au système interbancaire international SWIFT.
Selon le ministre russe du Développement économique Maxim Orechkine, au cours des neuf premiers mois de l’année les échanges entre la Russie et l’Inde ont augmenté de 19% pour atteindre 7,8 milliards de dollars, et on prévoit un bilan annuel de 11 milliards de dollars.
Le ministre a notamment souligné que dans le cadre du forum, les représentants russes et indiens avaient réussi à s’entendre sur de nouveaux projets d’envergure pour le développement de l’infrastructure, de l’agriculture, de la logistique et de la numérisation de l’économie.
Tout cela ne permettra pas seulement de renforcer la coopération, mais conduira également à une hausse conséquente des échanges — jusqu’à 30 milliards de dollars d’ici 2025.
Bien évidemment, ni la Russie ni l’Inde n’ont l’intention d’exposer ces projets à des risques, ce qui signifie que l’heure est venue de se débarrasser du dollar dans les transactions mutuelles. Dès à présent, 20% des exportations russes se font en roubles, et 21% des importations. Maxim Orechkine pense que cela conduira inévitablement à l’apparition d’une base pour la conversion efficace du rouble et de la roupie.
En octobre déjà, le vice-président des Chemins de fer russes Alexandre Micharine avait déclaré que Moscou et New Delhi avaient l’intention de créer un opérateur commun pour le transport ferroviaire. Dans la perspective de la signature d’un accord sur la création d’une zone de libre-échange entre l’Union économique eurasiatique (UEE) et l’Inde, cela jouera un rôle primordial dans le déploiement du potentiel économique des deux pays.
Et l’acier fut trempé
La Russie a également ouvert un front de lutte contre les opérations en dollars à l’ouest. Selon la Banque centrale, en juillet les banques russes ont acheté l’équivalent de 2,1 milliards de dollars de monnaie européenne — un record depuis 2014.
Cette situation s’explique par le risque de sanctions américaines susceptibles de restreindre les paiements en dollars pour les banques publiques russes, ce qui pourrait paralyser les versements dans le cadre de contrats étrangers.
De plus, ce changement de paradigme comportemental dans le secteur financier indique que la tendance à l’abandon du dollar ne fera que se renforcer.
Dans une récente interview à Bloomberg, le directeur général adjoint de Severstal pour les finances et l’économie, Alexeï Koulitchenko, a noté que si auparavant toutes les transactions à l’export étaient réalisées en dollars, aujourd’hui ce dernier est remplacé par l’euro et d’autres monnaies.
Étant donné que près de 40% des produits de la compagnie sont exportés, dont plus de la moitié dans les pays de l’UE, Severstal n’est pas contrainte de travailler en dollars avec ses partenaires.
Le dollar n’est plus ce qu’il était
Si, dans les relations commerciales et économiques avec les partenaires étrangers, la dédollarisation est promue par des compagnies commerciales, dans le secteur des investissements c’est la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed) qui pousse à une réduction progressive de la dépendance de la devise américaine.
Cette année, la Fed a augmenté à trois reprises son taux directeur, qui s’élève aujourd’hui à 2,25-2,5%. On s’attend à ce qu’après sa prochaine réunion, le régulateur annonce une nouvelle augmentation du taux.
Le dollar est donc de plus en plus coûteux, ce qui lui fait perdre de son attractivité pour les paiements. La Banque centrale européenne (BCE), contrairement à la Fed, ne s’empresse pas de recourir au durcissement qualitatif, garantissant ainsi un intérêt pour les emprunts en euros. Le 13 novembre, Gazprom a émis des euro-obligations pour un milliard d’euros sur 5 ans avec un rendement de 2,95%.
Son exemple a été suivi par le ministère des Finances qui a émis la même quantité d’obligations européennes, mais sur 7 ans à 3%. La mise sur les investisseurs européens était tout à fait juste: la demande en titres russes a dépassé l’offre.
«En dépit d’une forte volatilité du marché et d’une situation politique compliquée, l’émission a trouvé un vif écho auprès des investisseurs européens — et particulièrement britanniques, qui en ont acheté 55%», a déclaré Andreï Soloviev, directeur de gestion des Debt Capital Markets au sein de la compagnie d’investissement VTB Capital, co-organisatrice de l’émission.
Les investisseurs américains, selon VTB Capital, ont acheté seulement 3% des nouveaux actifs publics russes. Ces résultats montrent, entre autres, l’inutilité totale des éventuelles sanctions de Washington prévoyant l’interdiction d’acheter la dette publique russe pour les investisseurs privés américains.
Source: Sputnik