Aujourd’hui, « le sionisme nourrit l’antisémitisme » dans les pays arabes, estime le militant marocain des droits humains Sion Assidon, issu de la communauté juive, qui rejette « tout amalgame entre antisémitisme et antisionisme ».
« L’antisionisme est une prise de position politique et si se déclarer +antisioniste+ est assimilé à un acte de racisme c’est grave », souligne celui qui se définit comme un « marocain arabe berbère issu de la communauté juive ».
Comme beaucoup de ses amis, ce militant de 70 ans « ne comprend pas » la récente proposition du président français Emmanuel Macron d’élargir la définition juridique de l’antisémitisme à l’antisionisme.
Selon lui, il ne faut « pas se limiter à la dénonciation d’une seule forme de haine raciale, en oubliant les musulmans ou les Roms ». Pourquoi se focaliser sur l’antisémitisme et « passer à la trappe l’islamophobie » ? questionne-t-il.
Sion Assidon a le militantisme chevillé au corps. Il a passé douze ans de sa vie en prison, entre 1972 et 1984, après avoir été condamné pour atteinte à la sûreté de l’Etat pendant les « années de plomb », sous le règne du roi Hassan II, avec des dizaines d’autres opposants.
Mi-février, il manifestait à Casablanca avec le collectif Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) contre la tenue d’un concert d’Enrico Macias en dénonçant l’engagement pro-israélien du chanteur français.
Coexistence
Très critique vis à vis du pouvoir, cet homme aux idées ancrées à gauche partage la même analyse que le roi Mohammed VI sur un point: on peut à la fois critiquer la politique de « colonisation » des Israéliens et défendre la coexistence des identités religieuses.
« Il ne faut pas confondre sionisme et judaïsme: le gouvernement israélien prétend représenter les juifs du monde entier, mais c’est faux », s’indigne-t-il.
Féru d’histoire, ce chef d’entreprise installé à Mohammedia, une ville située sur la côte atlantique entre Rabat et Casablanca, estime que « l’antisémitisme est avant tout une forme de judéophobie propre à l’espace européen et liée au regard de l’Eglise » catholique depuis des siècles.
« Dans les pays arabes, les différences religieuses peuvent créer des tensions, mais personne n’accuse les juifs d’avoir tué le fils de Dieu », souligne-t-il en rappelant qu’au Maroc, comme dans d’autres pays musulmans, « les juifs bénéficient du statut de +gens du Livre+ qui leur assure une protection canonique ».
Le Maroc a une position encore plus particulière puisque le préambule de sa constitution évoque son « affluent hébraïque », que des juifs marocains ont occupé des postes de ministres, et que Mohammed VI, comme son père avant lui, en compte un parmi ses conseillers – André Azoulay.
C’est sous l’impulsion royale qu’ont été menés ces dernières années des programmes de rénovation des cimetières juifs et des quartiers urbains où vivait autrefois cette communauté qui comptait 200.000 à 300.000 membres avant les vagues de départ liées à la création de l’Etat hébreu en 1948 puis à l’indépendance du pays en 1956.
Loi des rabbins
Sion Assidon est lui-même « issu d’une famille bourgeoise qui a fait des affaires au Maroc » et si beaucoup de ses proches sont partis, il a choisi, comme ses parents, de rester dans son pays natal. S’il se définit comme un athée, il n’en est pas moins « soumis à la loi des rabbins » qui remplace pour les juifs marocains le code de la famille lié à la charia.
Estimée aujourd’hui à moins de 3.000 âmes, la communauté juive marocaine reste la plus importante du monde arabo-musulman. Le pays abrite le seul musée d’art et d’histoire hébraïque de la région, fondé en 1998 à Casablanca. Les touristes israéliens qui viennent sur les traces de leurs ancêtres sont les bienvenus.
« La coexistence communautaire a pas mal marché, mais aujourd’hui il y a un glissement dangereux: les juifs, bien moins nombreux, deviennent une abstraction et leur image, dans l’esprit des jeunes, tend à se réduire à celle que renvoie l’occupation brutale de la Palestine », s’inquiète Sion Assidon.
De ce fait, selon lui, la pensée antisémite est aujourd’hui alimentée au Maroc, comme dans d’autres pays arabes, par le « projet colonial des sionistes » et par la résurgence des théories complotistes nées en Europe au XIX siècle et confortées par « l’impunité totale d’Israël » malgré « sa politique de répression sanglante plusieurs fois condamnée par les Nations unies ».
Source: AFP