Des soldats israéliens tirent sur des enfants. Quelquefois ils les blessent et quelquefois ils les tuent. Quelquefois les enfants se retrouvent en mort cérébrale, quelquefois handicapés. Quelquefois les enfants ont lancé des pierres aux soldats, quelquefois des cocktails Molotov. Quelquefois, par chance, ils se trouvent au milieu d’une confrontation. Ils n’ont presque jamais mis la vie de soldats en danger.
Quelquefois les soldats tirent intentionnellement sur des enfants, quelquefois par erreur. Quelquefois ils visent les enfants à la tête ou en haut du corps, et quelquefois ils tirent en l’air et ratent, touchant les enfants à la tête. C’est comme ça quand un corps est petit.
Quelquefois les soldats tirent avec l’intention de tuer, quelquefois pour punir. Quelquefois ils utilisent des balles ordinaires et quelquefois des balles d’acier enrobées de caoutchouc, quelquefois à distance, quelquefois dans une embuscade, quelquefois à bout portant. Quelquefois c’est la peur, la colère, la frustration et un sentiment de n’avoir pas le choix qui les font tirer, ou une perte de contrôle, quelquefois c’est de sang-froid. Les soldats ne voient jamais leurs victimes après coup. S’ils voyaient ce qu’ils ont causé, ils seraient susceptibles d’arrêter de tirer.
Les soldats israéliens ont l’autorisation de tirer sur des enfants. Personne ne les punit pour avoir tiré sur des enfants. Quand un enfant palestinien se fait tirer dessus, on n’en fait pas une histoire. Il n’y a pas de différence entre le sang d’un petit enfant palestinien et le sang d’un Palestinien adulte. Ni l’un ni l’autre ne vaut grand chose. Quand un enfant juif est blessé, tout Israël est secoué, quand un enfant palestinien est blessé, Israël bâille. Israël trouvera toujours, toujours, une justification pour le fait que des soldats tirent sur des enfants palestiniens. Il ne trouvera jamais, jamais, de justification pour le fait que des enfants lancent des pierres aux soldats qui attaquent leur village.
Depuis six mois, un garçon nommé Abd-al-Rahman Shatawi est en convalescence à l’hôpital de réadaptation de Beit Jala. Depuis dix jours, un de ses parents, Mohammed Shatawi est à l’hôpital universitaire de la Hadassah d’Ein Karem à Jérusalem. Tous deux sont du village de Qaddum en Cisjordanie. Des soldats israéliens ont tiré sur eux en visant la tête. Ils ont tiré à balles ordinaires, de très loin, sur Abd-al-Rahman qui se tenait à l’entrée de la maison d’un ami, ils ont tiré sur Mohammed à balles enrobées depuis une colline proche alors qu’il essayait de se cacher de leur vue en bas de cette colline. L’armée a dit qu’il avait mis le feu à un pneu.
Abd al-Rahman a dix ans et paraît petit pour son âge. Mohammed a quatorze ans et paraît plus âgé qu’il ne l’est. Ce sont les enfants de la réalité palestinienne, tous deux sont entre la vie et la mort. Leurs parents et la vie de leurs parents ont été détruits. Le père d’Abd-al-Rahman le conduit à la maison de Beit Jala à Qaddum une fois par semaine pour passer le week-end au village, le père de Mohammed ne s’écarte pas de la porte de l’unité de soins intensifs en neurologie de la Hadassah d’Ein Karem où il est seul face à son fils et à son destin. Aucun de ces enfants n’aurait dû être la cible de tirs. Et ils n’auraient pas dû être visés à la tête.
Après qu’Abd-al-Rahman a subi ce tir, le porte-parole de l’armée a dit que « lors de l’incident, un mineur palestinien a été blessé ». Après que Mohammed a subi ce tir, le porte-parole a dit : « Nous avons connaissance d’une réclamation sur un Palestinien blessé par un tir de balle en caoutchouc ». Le bureau a l’habitude de ces plaintes. Le porte-parole de l’armée est la voix des Forces de Défense d’Israël. L’IDF est une armée du peuple, donc le porte-parole de l’IDF parle aussi pour Israël.
Les porte-parole publient leurs déclarations qui vous glacent le sang depuis une nouvelle tour de bureaux de Ramat Aviv près de Tel Aviv, où leur bureau a récemment emménagé. Ils qualifient un enfant de dix ans de « mineur palestinien » et remarquent que « on connaît la réclamation palestinienne » concernant un garçon qui lutte pour sa vie parce que des soldats ont tiré sur lui en visant la tête. La déshumanisation des Palestiniens a atteint les porte-paroles de l’IDF. Même des enfants ne suscitent plus de sentiment humains tels que le chagrin et la pitié, certainement pas dans l’IDF.
Le bureau du porte-parole de l’IDF fait bien son boulot. Sa déclaration reflète l’esprit des temps et du lieu. Il n’y a pas place à l’expression du moindre regret pour le fait de tirer sur des enfants en visant la tête, il n’y a pas place à la pitié, à des excuses, à une enquête ou à une punition, et certainement pas à quelque compensation que ce soit. Tirer sur un enfant palestinien est considéré moins grave que tirer sur un chien errant, pour lequel il y a encore une chance que quelqu’un fasse une enquête.
Par Gideon Levy
Source : Traduction SF pour l’Agence Média Palestine