L’Europe face à une nouvelle crise migratoire? L’avancée fulgurante des talibans* pousse déjà de nombreux civils hors des frontières afghanes. Sans doute faut-il s’attendre à une importante vague migratoire afghane dans les mois à venir, avec le lot de risques qu’elle comporte. Analyse.
Le spectre d’une crise migratoire venue d’Afghanistan prend chaque jour un peu plus d’épaisseur et il menace l’Europe.
Ils sont en effet de plus en plus nombreux à faire la queue tous les matins devant les quelques ambassades occidentales restantes à Kaboul pour déposer un dossier de demande d’asile. Avec le retrait hâtif des troupes américaines, le risque de voir le flux de réfugiés afghans croître dans les mois, voire les années à venir est «une réalité à prendre en compte», affirme Gérard Vespierre, directeur de recherche à la Fondation d’études pour le Moyen-Orient (FEMO), au micro de Sputnik.
«1.500 réfugiés arrivent en Turquie chaque jour»
Si les conséquences ne se font pas encore ressentir en Europe, les pays de la région accusent déjà le coup. L’Iran et le Pakistan accueillent aujourd’hui près de 90% des Afghans déplacés, soit plus de deux millions de réfugiés afghans enregistrés. La Turquie, qui héberge aujourd’hui près de quatre millions de réfugiés au total, compte près de 200.000 demandeurs d’asile afghans. Et le chiffre ne fait qu’augmenter.
Une situation qui laisse présager un débordement prochain en Europe, où la plupart de ces réfugiés souhaitent se rendre. Ruşen Takva, journaliste indépendant issu de Turquie, pays de transit obligatoire pour ceux-ci, sillonne depuis plusieurs semaines la frontière turco-iranienne pour documenter cet exode qui grandit de jour en jour. «Au moins 1.500 réfugiés arrivent en Turquie chaque jour et les passages continuent d’augmenter», affirme-t-il, vidéos à l’appui, sur son compte Twitter.
«S’ils obtiennent des visas, tant mieux. S’ils ne les obtiennent pas, la plupart partiront néanmoins en tant que réfugiés», écrit le chroniqueur géopolitique pakistanais Hayat Bangash dans une tribune pour Modern Diplomacy.
L’UNHCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés, a averti que des familles terrifiées sont «contraintes de fuir leurs foyers ces dernières semaines en raison de la détérioration de la situation sécuritaire», en marge du retrait américain qui prend fin le 31 août.
Pressions talibanes
«Il y a une situation de sauve-qui-peut», résume Karim Pakzad, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste du Moyen-Orient. «Jamais depuis plus de quarante ans, l’immigration afghane vers l’Europe n’a cessé», tient toutefois à rappeler notre interlocuteur:
«Tous les jours depuis des décennies, les gens qui ont les moyens de migrer tentent leur chance et partent vers l’ouest.»
Désormais, le risque est que la pression talibane* soit telle, notamment sur les grands centres urbains qui n’ont pas encore été attaqués, que l’exode devienne réellement massif et que se remette en place un scénario similaire à la crise des réfugiés de 2016.
Kemal Kirişci et Fulya Memisoglu tous deux chercheurs turcs au Brookings Institute, groupe de réflexion américain, tiraient déjà en avril la sonnette d’alarme: «un exode massif de réfugiés afghans pourrait créer une nouvelle crise migratoire.» Et même si celle-ci n’affecterait «pas immédiatement la sécurité des États-Unis», elle risque «d’avoir un impact négatif sur les alliés des États-Unis de l’autre côté de l’Atlantique, en particulier l’Union européenne», prévenaient-ils.
Les États-Unis, qui n’ont pas à faire face à une immigration clandestine en provenance de ce pays, ont indiqué qu’ils allaient accueillir dans un premier temps 2.500 Afghans qui ont aidé les États-Unis durant leur guerre. La Maison-Blanche a annoncé que les services compétents étudiaient les dossiers de près de 20.000 Afghans.
Insécurité en Europe
Côté européen, l’arrivée massive pourrait effectivement imposer une pression considérable sur les pays d’accueil et de transit. Ces réfugiés arriveraient ainsi dans une Europe incapable de digérer un tel afflux, tant sur le plan économique que culturel.
«C’est en Europe que la déflagration migratoire et islamiste sera la plus violente. Faute d’avoir suivi et parfois encouragé nos partenaires américains dans l’illusion d’une croisade pour la démocratie, notre continent est maintenant exposé à solder le repli stratégique des États-Unis», prévenait ce 19 juillet Hadrien Desuin, contributeur à la revue Conflits, dans une tribune pour le FigaroVox. Une crainte qui n’est pas nécessairement justifiée lorsque l’on regarde la sociologie des potentiels demandeurs d’asile à venir, estime Gérard Vespierre:
«Il y a une distinction qui peut être faite: les Afghans qui vont s’exiler, ce sont ceux des centres-ville, qui réfutent le modèle de société conservateur offert par les talibans*. Ils sont plutôt attachés à un mode de vie occidental. C’est pour ça qu’ils partent», explique-t-il à Sputnik.
En 2020 déjà, les Afghans ont été les plus nombreux à demander l’asile en France, avec 10.000 demandes de dossiers, devant la Guinée. D’après les chiffres d’Eurostat, la France a enregistré 7.515 demandes d’asile de migrants afghans en 2017. Sur celles-ci, 6.315 ont été acceptées, ce qui correspond à un taux d’environ 84%. Des chiffres amenés à augmenter à mesure que le conflit s’envenime en Afghanistan.
En 2019, l’un de ces demandeurs d’asile afghan, diagnostiqué avec des troubles psychiatriques, a tué avec un couteau un jeune homme et blessé huit autres personnes. En Allemagne également, l’accueil de réfugiés a pu causer des drames. À Dresde en 2020, un demandeur d’asile syrien, connu comme islamiste extrémiste des services allemands a poignardé un couple. Nombre d’exilés de la vague de 2015-2016 sont également connus pour des faits de délinquance. Une vague qui a aussi porté en son sein des terroristes, dont une partie de l’équipe de djihadistes responsable des attentats du Bataclan et des terrasses le 13 novembre 2015.
Source: Sputnik