Hajj Mohammad Afif a vécu la résistance comme une conviction, une discipline et une vocation. Sa vie, qui s’étend sur plus de quatre décennies, se déroule comme l’histoire d’un révolutionnaire qui, d’abord fusil sur le terrain, a ensuite maîtrisé l’art de la guerre médiatique. Il est devenu un pilier fondateur de l’identité médiatique de la résistance et un fervent défenseur de la conviction que seul un combat islamique, sous toutes ses formes, pouvait permettre de contrer l’arrogance de l’ennemi.
Pour Hajj Afif, il n’y avait pas d’autre voie possible, ni dans les illusions d’une capitulation politique, ni dans le faux salut recherché à travers les résolutions internationales. Sa vie a toujours été guidée par la certitude que la résistance devait être globale : militaire, politique, culturelle, économique, sociale et, par-dessus tout, informative. Son compagnon de toujours depuis la jeunesse, Hajj Abdallah Qassir – assistant du chef du Conseil exécutif du Hezbollah – a résumé la situation avec concision après le martyre de Hajj Afif, le 17 novembre 2024, lors d’une frappe aérienne israélienne qui l’a tué avec quatre compagnons alors qu’ils travaillaient dans le quartier de Ras al-Nabaa, à Beyrouth.
Un an après son martyre, son spectre est toujours présent. Sa conviction du pouvoir de la persévérance, de la valeur stratégique des mots et des images, et de la nécessité de l’ingéniosité a façonné une vision médiatique qui a contribué à définir la manière dont la résistance islamique s’adressait à ses adversaires, à ses alliés et à son propre peuple. Dès les premiers jours de la fondation du Hezbollah, Hajj Afif a servi avec un dévouement sans faille, assumant ses responsabilités avec intelligence et compassion.
On ne saura jamais toute sa contribution. Seuls quelques fragments de son immense œuvre seront rendus publics.
Guerre 2024 : deux missions jusqu’ au dernier souffle
« Des profondeurs du chagrin je suis venu, pour fermer les portes des vaincus et proclamer l’humanité. »
Ces vers du poète irakien Muzaffar al-Nawâb – dont Hajj Afif avait mémorisé les œuvres révolutionnaires – saisissent l’essence de ses derniers mois lors de la dernière agression israélienne contre le Liban.
Pendant 50 jours, il a porté le fardeau d’une douleur immense, celle de perdre « son maître et son âme qui l’habitait », tel qu’il a décrit Sayyed Nasrallah lors de la Journée des Martyrs. Pourtant, jamais son chagrin ne l’a empêché de se tenir en première ligne de son devoir, incarnant la force et le sang-froid dignes de la résistance et de ses sacrifices.
L’analyse de ses conférences de presse durant la Bataille des Braves de 66 jours en octobre et novembre 2024 révèle deux missions principales :
- Déconstruire les mensonges de l’ennemi : contrer les affirmations selon lesquelles des bâtiments civils dans la banlieue de Beyrouth étaient des « installations militaires » et dénoncer la fausseté des récits annonçant la défaite de la résistance après le ciblage de ses dirigeants.
- Renforcer le moral des partisans et sympathisants : un objectif qui transparaît non seulement dans ses paroles, mais aussi dans son ton, sa posture et même dans les lieux qu’il choisissait parmi les décombres et les tombes, dans la banlieue sud de Beyrouth.
Son frère, cheikh Sadeq, a rapporté à Al-Manar que Hajj Afif avait un jour déclaré à un haut responsable : « Il n’y a pas de place pour l’hésitation. Nous devons continuer et les affronter de toutes nos forces jusqu’à ce que notre peuple sorte victorieux. »
Même sous la menace directe qui lui a été adressée lors d’une conférence de presse, via le raid contre un bâtiment proche, il a continué à parler avec un calme défiant : « Les missiles ne nous ont pas effrayés ; comment les menaces le pourraient-elles ?»
Un homme de terrain et d’initiative
Hajj Afif était, comme l’a souligné cheikh Sadeq, un « homme de terrain ».
Au début de l’invasion israélienne du Liban en 1982, il a pris les armes et a combattu. Ses responsabilités médiatiques ne l’empêchèrent jamais de participer à des opérations cruciales de la résistance. Lors des missions de soutien, il fournissait aux journalistes des informations précises, limitées uniquement par les contraintes opérationnelles.
Dès ses débuts, Hajj Afif a joué un rôle indispensable dans la construction de l’appareil médiatique du Hezbollah, à partir de rien. Avec créativité, persévérance et clairvoyance stratégique, il a contribué à élaborer la doctrine médiatique naissante du parti, malgré des réticences initiales liées au secret et à des considérations religieuses.
Il a créé l’un des centres médiatiques les plus modernes du Sud-Liban, du temps du secrétaire général martyr Sayyed Abbas al-Moussawi. Dans un entrepôt réaménagé, il aménagea des salles dédiées à la photographie et à la presse écrite. Les images des opérations de la résistance y étaient développées et envoyées au journal Al-Ahed, la première Edition de presse écrite du Hezbollah, puis à d’autres médias à travers le pays.
Plus tard, il contribua à la fondation de la station de radio La Voix des Opprimés (le premier noyau de la radio an-Nour), découvrant et formant de jeunes talents au passage. En 2005, il a pris la direction des programmes d’information et politiques d’Al-Manar, après avoir contribué à création de la télévision dans les années 90 du siècle dernier, aux côtés de Sayyed Issa Tabatabaï.
Reconnu pour son leadership visionnaire et son don pour repérer les jeunes talents prometteurs des médias, il les escortait dans leur carrière avec confiance et générosité.
Relations et évènements médiatiques
Au cours de la dernière décennie de sa vie, Hajj Afif a excellé à la tête du service des relations avec les médias. Hajj Qassir le décrit comme un stratège vigilant, orientant le discours de la résistance sur chaque sujet.
Hajj Afif a défendu le dialogue avec les médias non partisans à une époque où une telle ouverture était sans précédent. Il a intégré le récit de la résistance au journalisme libanais dominant, instaurant un climat de confiance par-delà les clivages politiques et idéologiques.
Il a organisé des tournées médiatiques massives – certaines impliquant plus de 300 journalistes – lors des batailles dans le Jurud de Baalbek et du sud. L’évènement médiatique le plus retentissant a été sans doute l’organisation de la célèbre manœuvre militaire « Nous traverserons » réalisée dans la région de Aaramta au sud du Liban, en 2023.
Il a également fondé et dirigé le Forum national des médias, le transformant en une plateforme dynamique et inclusive, à l’image du caractère national de la résistance. Samir al-Hassan, son coordinateur, a attribué son succès à l’ouverture d’esprit, à l’humilité, au courage et au sens stratégique aigu de Hajj Afif.
Le conseiller de Sayyed
Hajj Abdallah Qassir a écrit qu’après la libération, Hajj Afif a continué de travailler en étroite collaboration avec notre Martyr suprême, Sayyed Hassan Nasrallah, en tant que conseiller en communication. Il supervisait ses apparitions publiques, coordonnait les conférences de presse et gérait la communication politique.
La relation de Hajj Afif avec Sayyed Nasrallah et de nombreux chefs de la résistance avait débuté des décennies plus tôt à Najaf, alors qu’ils étaient tous de jeunes hommes et projetaient d’établir les fondements de ce qui allait devenir la Résistance islamique. Leurs liens se sont renforcés à leur retour au Liban, où ils ont bâti ensemble le mouvement.
Pendant de longues périodes, Hajj Afif a supervisé les séances photos de Sayyed Nasrallah et la préparation médiatique en coulisses.
Cheikh Sadeq, qui a vécu avec lui pendant ses études, se souvient que Sayyed téléphonait fréquemment à Hajj Afif pour coordonner la couverture médiatique et solliciter son avis, faisant confiance à son analyse pertinente du paysage médiatique.
Durant la guerre de juillet 2006, Hajj Afif était en contact permanent avec Sayyed Nasrallah. Après le bombardement d’Al-Manar, lorsque l’équipe s’est réfugiée dans un autre centre, Sayyed Nasrallah a immédiatement appelé Hajj Afif pour prendre des nouvelles du personnel et comprendre la situation.
Marwan Abdel Sater, chef des opérations d’information pendant la guerre, se souvient que Hajj Afif avait fait de la salle de rédaction pendant la guerre 2006 son « second foyer ». Il s’attachait à préserver l’image de Sayyed Nasrallah, à diffuser le message de la résistance et à maintenir le moral de la population. Lorsque le bâtiment principal d’Al-Manar a été bombardé par l’ennemi israélien, il avait évacué tous ses collègues avant de se mettre lui-même à l’abri.
Abdel Sater se souvient également d’avoir reçu la première vidéo de Sayyed pendant la guerre. L’éclairage et la qualité étaient imparfaits, et Hajj Afif avait aussitôt contacté l’équipe pour améliorer les enregistrements suivants, soulignant que « l’image de Sayyed revêt une signification profonde pour le peuple ».
Du chagrin au défi
Après le martyre de Sayyed Nasrallah, Afif a transformé son chagrin en défi. Il estimait que dans cette bataille « toute la foi s’est dressée contre toute l’incroyance ». Le journaliste Paul Makhlouf l’a décrit comme « l’image du Hezbollah face au monde : la guerre entre vérité et mensonge, réalité et mythe ».
C’est Hajj Afif qui a revendiqué l’« Opération de Césarée », lorsqu’un drone de la résistance a frappé la maison du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu le 22 octobre de l’an dernier : « Les yeux des combattants de la Résistance islamique voient et leurs oreilles entendent. Si nous ne vous avons pas atteint cette fois, alors les jours, les nuits et le champ de bataille qui nous sépare en décideront. »
Hajj Mohammad Afif n’a pas simplement relaté la résistance ; avec ses compagnons, il a façonné sa voix, aiguisé sa vérité et s’est dressé comme l’un de ses plus fidèles gardiens. Son parcours, des premiers jours de clandestinité et de lutte jusqu’au dernier souffle au service de sa patrie, reflète l’évolution d’un homme qui a su allier conviction et créativité, sacrifice et vision. Il appartenait à une génération pour qui la résistance n’était pas un simple acte, mais un mode de vie, une identité vécue en paroles, en actes et en présence.
Son martyre n’a pas éclipsé son influence. Au contraire, il a éclairé la profondeur de son héritage. Aujourd’hui, chaque message ferme, chaque image émanant du front, chaque récit qui confronte le mensonge avec lucidité porte l’empreinte de sa pensée, de sa discipline et de sa conviction inébranlable que les nations survivent par leur résistance.
Par Soumayya Ali
Source: Al-Manar



