Biden voulait avoir la possibilité d’entrer – et de sortir – de l’accord à volonté.
Trita Parsi, le chroniqueur de premier plan sur l’Iran, éclaire d’un jour nouveau les raisons pour lesquelles les pourparlers de Vienne sur un retour à l’accord nucléaire (JCPOA) traînent en longueur : Les grands médias occidentaux se sont empressés de suggérer que la lenteur de la reprise des pourparlers s’explique par le scepticisme de la nouvelle administration iranienne à l’égard de la sincérité de Washington quant à l’obtention d’un résultat permettant une levée significative des sanctions. Deuxièmement, il a été largement allégué que l’équipe de Raïssi a traîné les pieds, afin d’accumuler plus de pouvoir de négociation avant le prochain cycle de négociations de Vienne. Il semble que tout cela soit faux.
Les sources de Parsi suggèrent que le nœud du problème est tout autre: les projecteurs ne sont pas tant braqués sur les prétendues tactiques dilatoires iraniennes que sur le refus de Biden de s’engager à respecter le JCPOA jusqu’à la fin de son mandat, même si l’Iran se conformait pleinement à l’accord.
Ce tournant crucial dans les négociations s’est produit en mai, écrit Parsi, c’est-à-dire bien avant l’investiture de Raïssi en tant que président. Les Iraniens, comme chacun le sait, avaient insisté sur un engagement juridiquement contraignant selon lequel les États-Unis ne se retireraient pas à nouveau du JCPOA, comme l’avait fait unilatéralement Trump.
L’équipe américaine a insisté sur le fait qu’elle ne pouvait pas lier les mains de la prochaine administration (ce qui est toujours le cas). Selon des diplomates occidentaux et iraniens impliqués dans les négociations, écrit Parsi, les Iraniens ont alors revu leurs exigences à la baisse (on peut supposer que cela fait référence à l’ancien président Rouhani), et ont demandé une simple assurance que Biden s’engage à rester dans le cadre de l’accord pour le reste de son mandat – au moins.
Des sources ont indiqué à Parsi que l’équipe américaine avait dûment consulté Washington, mais que la Maison Blanche avait refusé de prendre un tel engagement, invoquant des « obstacles juridiques ». Au lieu de cela, Washington a proposé des modifications du texte de négociation qui n’allaient pas jusqu’à un engagement juridique. C’est cette réponse qui a effectivement gommé les négociations.
L’équipe Biden a été très explicite et n’a pas cherché à cacher le fait qu’elle cherche à obtenir des points de pression supplémentaires sur l’Iran. C’est là le cœur du dilemme des États-Unis : ils reconnaissent la nécessité de lever au moins la plupart des sanctions si l’on veut que l’Iran respecte à nouveau le JCPOA. Cependant, plus ils lèvent de sanctions, moins les États-Unis ont de moyens de pression pour poursuivre ce qui a toujours été leur objectif final : enfermer l’Iran dans un carcan plus long et plus fort (sur son programme nucléaire), et limiter la marge de manœuvre stratégique de l’Iran par le biais de ses alliés régionaux – plus longtemps. Enfin, et ce n’est pas le moins important, bloquer le système de défense antimissile de l’Iran – pour de bon (il s’agit là de tous les sujets de discussion d’Israël à Washington, bien sûr).
À l’origine, il semblait que l’équipe Biden cherchait à lever les deux tiers des sanctions, mais à en garder un tiers comme épée de Damoclès, au-dessus du cou de l’Iran. L’article de Parsi explique toutefois que cette dernière menace était considérée comme insuffisante. Biden voulait avoir la possibilité d’entrer et de sortir de l’accord à volonté, et donc d’imposer d’« autres options ».
Vue sous cet angle, l’approche de Biden ne fait pas que reproduire celle de Trump – elle est plus extrême.
Bien entendu, cette approche vide de sa substance le JCPOA. L’une des principales demandes iraniennes depuis la première formulation de l’accord (en 2015), était l’insistance sur la normalisation des échanges et du commerce. Cela ne s’est jamais produit. Et la vérification de cet aspect dans tout nouvel accord a figuré en tête de la liste des conditions, telles que fixées par le Guide suprême.
Mais avec l’insistance des Américains sur leur droit de sortir du JCPOA à tout moment pendant le mandat de Biden, cela signifie effectivement qu’aucun investisseur, aucune banque, aucune compagnie d’assurance n’acceptera de traiter avec l’Iran. Un retour des sanctions à tout moment ? Non merci !
Et que penseraient les Iraniens de leur gouvernement si, après une exubérante levée momentanée des sanctions, Biden choisissait de « sortir » et d’imposer une austérité économique sous stéroïdes – tout cela dans le but d’imposer un nouveau JCPOA « plus fort et plus long »? Et s’agira-t-il d’une seule extension ou de nombreuses autres, plaçant la normalisation avec l’Iran très loin, au-delà de tout horizon ?
Alors, pourquoi l’Iran accepterait-il une promesse aussi précaire et à court terme (même si toutes les sanctions étaient entièrement levées, ce qui semble improbable) ? Ne serait-il pas préférable d’opter pour une prévisibilité économique, certes plus lente, mais plus sûre, via la BRI et la Communauté économique eurasiatique, et de laisser à Washington le soin de faire échouer l’accord ?
Il est fort probable que Washington se rende compte que l’idée d’un JCPOA « plus fort et plus long » n’est tout simplement « pas envisageable » et, reflétant l’analyse iranienne, se résigne tranquillement à l’effondrement de l’accord. Il vaut mieux maintenant qu’après une résurrection transitoire, lorsque le coût politique d’une telle action, pour Biden, sera plus élevé. L’équipe Biden et les Occidentaux espèrent faire en sorte que l’Iran soit d’une manière ou d’une autre tenu pour responsable – bien sûr.
L’Iran comme bouc émissaire aurait-il vraiment une importance ? Probablement pas. La Chine et la Russie connaissaient les « chances » du JCPOA avant d’inviter l’Iran à rejoindre l’OCS en tant que membre à part entière. L’état des pourparlers de Vienne n’a manifestement pas dissuadé la Chine et la Russie d’aller de l’avant.
Et maintenant ? Biden « parle » de plan « B » pour l’Iran, faisant clairement allusion à une option militaire. Dernièrement, le secrétaire américain à la Défense a fait allusion à un plan « B » pour l’Ukraine. La semaine dernière, Biden a également fait allusion à un plan « B » pour Taïwan lors d’un débat public sur CNN. Mais la réponse de la Chine indique que Pékin pense que Biden bluffe. Il est possible qu’ils pensent la même chose des plans « B » pour l’Iran et l’Ukraine, même s’il ne fait aucun doute que l’instabilité politique aiguë à Washington les incitera à rester sur leurs gardes, juste au cas où.
Par Alastair Crooke.
Sources: english.almayadeen.net; traduit par Réseau International