Téhéran, Pékin et Moscou vont mener un exercice maritime conjoint dans le Golfe persique. À travers ces manœuvres, les trois pays renforcent un partenariat stratégique dont le centre de gravité s’éloigne tous les jours un peu plus de l’Occident.
« Une partie du monde se recompose sans nous, Occidentaux. C’est aussi simple que ça », constate au micro de Sputnik Pierre Fabiani, ancien représentant de Total en Iran.
Le 17 janvier, un groupe naval de la Flotte du Pacifique comprenant le croiseur lance-missiles Variag, le grand navire de lutte anti-sous-marine Amiral Tribouts et le navire-citerne Boris Boutoma sont arrivés dans le port iranien de Chabahar.
Les bâtiments s’y trouvent pour un exercice maritime d’envergure organisé conjointement par la Chine, la Russie et l’Iran, a indiqué le service de presse de la Flotte russe du Pacifique.
Les manœuvres débuteront ce 21 janvier a fait savoir l’agence de presse officielle iranienne, l’IRNA, citant le bureau des relations publiques de l’armée.
« Les trois parties doivent renforcer leur coopération dans les domaines de sécurité non traditionnels, en particulier dans la sécurité maritime, car actuellement, certains pays continuent de causer des problèmes en mer, ce qui constitue une violation du droit international », a déclaré Song Zhongping, un expert militaire chinois, au Global Times mardi 20.
« Une ère post-américaine »
Les tensions se sont multipliées ces dernières années dans le Golfe persique. En 2019, Washington et Téhéran se sont mutuellement accusés de comportement agressif dans la région, ce que l’on a alors qualifié de « Crise du golfe Persique. »
Dans ce contexte, les manœuvres menées par la Russie, la Chine et l’Iran constituent un « geste de bonne volonté » et démontrent notamment la capacité de Pékin à maintenir la paix mondiale et la sécurité maritime, selon les responsables militaires chinois. Mais c’est aussi une manière pour Moscou, Pékin et l’Iran de renforcer un partenariat stratégique qui n’a de cesse de croître, explique l’ancien de Total Iran.
Le triptyque Chine-Iran-Russie a multiplié les domaines de coopération ces dernières décennies.
Pas plus tard que ce 19 janvier, le nouveau Président iranien Ebrahim Raïssi était à Moscou pour évoquer l’accord sur le nucléaire iranien et les relations bilatérales.
Quelques jours plus tôt, le chef de la diplomatie iranienne était en Chine pour signer la mise en œuvre d’un « pacte de coopération stratégique » de vingt-cinq ans, évalué à 400 milliards de dollars.
Les exemples de renforcement de ce type de coopération sont légion. Néanmoins, le point d’orgue symbolique de ce rapprochement fut certainement l’entrée de Téhéran dans l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), une organisation intergouvernementale à caractère politique, économique et militaire en Asie, dont font partie la Russie et la Chine.
C’est « l’un des principaux symboles de la coopération des puissances non occidentales », a souligné le journal iranien Javan. Cette adhésion ouvre « la voie à une ère post-américaine. »
Cette posture résulterait de la logique de confrontation occidentale vis-à-vis de ces pays, poursuit Pierre Fabiani.
L’exemple le plus probant, selon lui, est la position américaine dans les négociations sur le nucléaire iranien.
En effet, l’accord de 2015 –conclu entre l’Iran, les États-Unis, la Chine, la Russie, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne– prévoyait un allègement des sanctions américaines en échange de la limitation du programme nucléaire iranien.
Mais les États-Unis se sont retirés unilatéralement du traité en 2018, réimposant des sanctions dures et poussant Téhéran à revenir sur ses engagements.
Les discussions pour sauver l’accord sur le nucléaire ont commencé fin novembre, mais les États-Unis demandent à nouveau des concessions à Téhéran, alors même que ce sont eux qui en sont sortis.
« On aurait pu les avoir avec nous »
La relation entre Washington, Moscou et Pékin suit une logique de confrontation comparable, avec à chaque fois, un point de fixation: le dossier ukrainien pour la Russie, Taiwan pour la Chine.
Par ailleurs, l’un des dénominateurs communs entre les trois pays de l’OCS participant aux manœuvres navales est qu’ils font tous l’objet de sanctions économiques de la part de Washington. Les raisons de ces sanctions divergent, mais le résultat est le même, explique l’ancien de Total.
« Les sanctions rapprochent les sanctionnés. On aurait pu les avoir avec nous, mais on a tout fait pour qu’ils se réorganisent sans nous. Il y a une redistribution des cartes que les gens sous-estiment », regrette-t-il.
À tel point que ces puissances estiment qu’il est aujourd’hui de leur responsabilité d’assurer la sécurité des routes maritimes internationales, d’où ces exercices maritimes conjoints.
Une mission que se sont pourtant attribuée les États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Washington, muni d’une capacité de projection maritime sans égal, continue à ce jour de se voir comme la puissance garante de la sécurité maritime mondiale et en fait même une partie intégrante de sa doctrine internationale.
« Les États-Unis défendront les droits, les libertés et les utilisations légales de la mer pour le bénéfice de toutes les nations et ils se tiendront aux côtés des partenaires de même sensibilité qui en font autant », indique un rapport du département de la Défense publié en 2020.
Cette même année, les forces américaines ont contesté 28 revendications maritimes jugées excessives formulées par 19 requérants à travers le monde, souligne également ce rapport.
D’ailleurs, Washington mène régulièrement des opérations au nom de la liberté de navigation dirigées contre Pékin en mer de Chine.
« Trois des plus grands adversaires de l’Amérique »
Néanmoins, l’axe Téhéran-Pékin-Moscou ne voit plus les États-Unis comme un garant crédible et neutre de cette sécurité maritime. En particulier dans le Golfe persique, où passent près de 40% des hydrocarbures mondiaux.
« Assurer la sécurité de la navigation revient à préserver la sécurité économique des trois pays.
Il est donc normal de voir la Chine, la Russie et l’Iran coopérer avec leurs marines, et notamment dans leurs efforts conjoints contre l’hégémonie régionale et les pirates maritimes », note M. Song dans le Global Times.
Ce n’est pas la première fois que les trois pays organisent de telles manœuvres. En 2019, les marines chinoise, russe et iranienne ont mené un déploiement de quatre jours dans le golfe d’Oman afin d’approfondir leur coopération. En 2019, certains médias américains cités par le Global Times avaient déclaré qu’elles étaient menées par « trois des plus grands adversaires de l’Amérique. »
D’autres ont supposé que l’exercice indiquait que Pékin se joignait à Téhéran et Moscou pour former un trio d’ »autocraties » visant à « se liguer contre la démocratie. »
Ces pays, qui n’ont eu de cesse de répéter qu’ils étaient ouverts à des discussions multilatérales d’égal à égal, se réorganisent désormais en contournant les États-Unis.
En visite à Moscou mercredi 19 janvier, le Président iranien Ebrahim Raisi a rappelé à son homologue russe, dans des remarques télévisées, qu’il était temps de s’attaquer « au pouvoir des Américains avec une synergie accrue. » Le message a le mérite d’être clair.
Source: Avec Sputnik