Beaucoup ont du certainement le remarquer, le système d’information occidental, lorsqu’il s’agit de la guerre en Ukraine, devient atypique ; il n’obéit plus à aucune norme traditionnelle de l’information.
Avant une information était sourcée, datée, infirmée ou confirmée, validée ou démentie , certifiée, documentée. L’émetteur de l’information engageait sa crédibilité voire, dans certains cas, son honneur professionnel. C’était même là, la différence revendiquée par l’information professionnelle vis-à-vis des réseaux sociaux
La CIA, une agence de presse
Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. La CIA et le Pentagone, la direction du renseignement américain sont devenus de véritables agences de presse. Elles en exercent les fonctions. Elles produisent à longueur de journée des informations, des analyses, des prévisions, des anticipations, des communiqués qui sont repris et amplifiés par tous les médias occidentaux sans l’ombre d’une évaluation critique. Lorsque l’information se révèle fausse et quand l’évènement annoncé à grand matraquage informatif, n’arrive pas, on ne s’en émeut même pas, on ne dément rien, on ne s’excuse de rien, on ne met pas en doute la source, et même, spectacle stupéfiant, aberrant, on fait même comme si l’évènement aurait dû se produire. La vérité et le mensonge n’existent plus. La vérité et la réalité sont dissociées. Et, chose extraordinaire, ce n’est pas l’information qui est réinterprétée en fonction des faits, ce sont les faits eux-mêmes qui sont réinterprétés en fonction d’une information dont on ne doute pas un instant de la véracité. Du jamais vu dans l’histoire de l’information.
Prenons quelques exemples. Un énorme battage est fait plusieurs jours avant sur la célébration du 9 mai en Russie. On annonce que Vladimir Poutine va déclarer la guerre, décréter la loi martiale. On dit qu’il va augmenter la tension autour d’une guerre nucléaire, et, preuve en est, « l’avion de l’apocalypse », le QG présidentiel en cas de guerre nucléaire, va apparaitre dans le ciel, lors du défilé. Et en « nouvelle de dernière minute » la CIA, vient annoncer, partout, que « le défilé des immortels », grand défilé traditionnel de la population, n’aura pas lieu cette année, « signe d’une crise du pouvoir et d’une hostilité de la population ».
Quelle est la source de ces informations, sont-elles documentées ? Rien de tout cela. C’est la CIA qui comme d’habitude, dit « Nous avons des indications que », « nous savons que ». Ils ne savent rien puisque tout cela va se révéler faux.
Le discours de Vladimir Poutine va insister sur la paix. Aucune annonce particulière n’est faite. Et même, cerise sur le gâteau, Vladimir Poutine, défile , mêlé au peuple russe, en tête de la marche des immortels, lui aussi brandissant le portrait de son père combattant de « la Grande guerre patriotique » ; Il y a probablement peu de présidents, même dans les pays les plus démocratiques, qui défilent ainsi mêlés à la foule populaire. Il aurait été peut être intéressant pour les commentateurs d’analyser cet aspect de la réalité russe, mais pas du tout. Dans une ambiance surréaliste, les commentateurs reprocheraient presque à Vladimir Poutine de n’avoir pas fait… ce qu’il était prévu qu’il fasse selon la CIA et le Pentagone. Ils le trouvent trop calme, trop faible, mou ! Ils sont…déçus.
« Nous avons des indications », « nous savons que »
Autre exemple, tout récent : le 10 mai , la CIA annonce, c’est la nouvelle ou plus exactement le thème médiatique du jour, et toujours dans ces fameux communiqués de presse, que « des éléments lui font soupçonner la déportation de 1,2 million d’ukrainiens en Russie ». Elle précise en même temps, sans se soucier de l’absurdité d’une telle précision, qu’elle « n’a pas de données concrètes pour affirmer cela ni pour indiquer les lieux de déportation ». Malgré cela, « l’information » est donnée sur le ton affirmatif. Immédiatement tous les médias en Occident reprennent l’annonce, La supposition de départ se transforment peu à peu, sur des plateaux excités, en un fait. On peut même dire qu’elle se développe. On y parle d’abord de « déplacés » et puis très vite de « déportés ». Il n’est évidemment pas question de penser que des réfugiés ( 600 000 selon le Russie) aient pu choisir la Russie comme d’autres la Pologne. Pourquoi « déportés », quel intérêt aurait la Russie à les déporter, la question n’est même pas posée. De toute façon la Russie est un monstre qui n’obéit à aucune valeur humaine et, puis « on sait bien que la déportation est une habitude stalinienne » ? Sur un plateau, celui de LCI, le mot de « camp de concentration « des réfugiés » est même lâché.
Les exemples de la même teneur et avec les mêmes procédés sont légion : Le mardi 10 mai, la directrice du renseignement américain, Avril Haines, annonce que Vladimir Poutine se prépare à un long conflit, qu’il ne compte pas s’arrêter au Donbass, et qu’il instaurera la loi martiale. Tout cela est dit, devant le Sénat américain, et comme chaque fois, en toute « transparence » comme s’il n’ y avait plus de « secrets défense « . On se trouve là, devant un type de procédés où l’analyse, la prévision, l’anticipation, sont transformées en informations concrètes ( l’argument est que cela « pourrait bien avoir lieu » ! ), bien qu’elle ne repose apparemment sur aucun fait documenté, à part le « nous avons des indications », « nous « savons que »
Autre exemple encore, mercredi 11 mai : la CIA « a des indications » sur la « démoralisation » de l’armée russe, qui se traduirait par l’alcoolisme, le sabotage par les soldats de leurs propres armes, chars et autres ; Ce sera le thème médiatique du jour. Cette information est -elle documentée, validée. Peu importe, elle se suffit à elle-même. Elle deviendra au fur et à mesure un fait, amplifié par les plateaux de télévision.
Le jeu de la transparence
On se trouve devant des pratiques nouvelles, inédites de la communication et de l’information développées par les États Unis à la faveur de cette guerre de l’information contre la Russie.. On a l’explication, le secret de ce nouveau mode d’information, dans un article remarquable de Caitline JOHNSTON , publié sur « Le Grand soir« . Cet article, d’où est tiré l’essentiel de nos citations, se base sur un rapport surprenant de NBC News. On y apprend que « l’administration Biden a rapidement diffusé sur les plans de la Russie en Ukraine des renseignements peu fiables fondés davantage sur l’analyse que sur des preuves tangibles », voire tout simplement faux ». Le rapport indique qu’à cette fin » le gouvernement américain a délibérément fait circuler des allégations fausses ou mal étayées sur l’imminence d’attaques à l’arme chimique, sur les conseillers de Poutine qui le désinforment et sur la Russie qui cherche à s’approvisionner en armes auprès de la Chine » ; Toutes « informations » qu’on a pu effectivement suivre sur les chaines occidentales.
Autre exemple, le président Biden a parlé publiquement d’armes chimiques mais des responsables américains ont déclaré alors à NBC news qu’il n’y avait aucune preuve de cela mais que le but » avait été de dissuader la Russie » d’utiliser ces armes. On en arrive ainsi à une catégorie nouvelle celle du mensonge justifié par une bonne intention, pour la bonne cause. On en reparlera.
Un autre procédé est de « déclassifier « des renseignements prétendument « classifiés « et de jouer la « transparence ». Le jeu devient alors complexe. On peut même pousser la comédie jusqu’à faire mine de s’emporter sur des informations supposées secrètes et dévoilées au public. C’est exactement ce qu’a fait dernièrement le président Biden lui-même. Il s’est indigné qu’on ait rendu publique, dans le New York Times, le fait que les services étatsuniens donnaient aux ukrainiens des renseignements sur la localisation de généraux russes en Ukraine, ce qui aurait été la cause de la mort d’une dizaine d’entre eux. Or la fuite a été publiée dans le New York Times. On est dans un jeu compliqué où le vrai et le faux se mêlent pour manipuler l’opinion, mais aussi, on l’espère, les dirigeants russes.
Le New York Times, le plus grand et le plus prestigieux journal anglo-saxon présente, fait remarquer Caitlin Johnstone, les communiqués de presse de la CIA comme « des nouvelles de dernière minute » et ils sont ensuite amplifiés par les plus grands medias occidentaux. Et lorsqu’il publie des fuites, cela n’a rien à voir avec le courage professionnel de journalistes, mais avec le fait qu’on veut rendre public ces » fuites ». Ainsi l’un des journalistes « courageux » du New York Times , auteur de ces « fuites » est Ken Dilation, dont il a été révélé en 2014, selon Caitlin JOHNSTONE, qu’il était un agent actif de la CIA travaillant au New York Times.
Mensonges pour la bonne cause
Toutes ces informations et bien d’autres sont des mensonges, mais des mensonges assumés, « pour la bonne cause ». C’est ceci qui est terrible. .John Savers, ancien chef du M16, cité par C. Johnston, remarque, en février 2022, dans un groupe de réflexion « The Atlantique Council » que « les communiqués de renseignement de l’administration Biden reposent davantage sur une impression générale que sur des renseignements réels et étaient conçus pour manipuler plutôt que pour informer ».
Depuis l’Irak, la Libye, l’Afghanistan, les États Unis avaient acquis la réputation d’être des menteurs. Pour leur redonner de la crédibilité, dernièrement, le système médiatique occidental a insisté lourdement sur le fait « qu’ils étaient les seuls à avoir prévu l’attaque contre l’Ukraine », alors qu’en réalité ils avaient multiplié les fausses dates et que la dernière donnée s’est révélée forcément exacte et que la concentration des forces russes rendaient évidentes l’entrée en guerre.
En admettant qu’il ment, en utilisant les procédés qu’on vient de décrire, en jouant la transparence totale des informations classés « secret défense », le gouvernement américain ne craint-il pas de perdre la confiance de ses citoyens ? Ce qui est stupéfiant dans ces nouvelles techniques de la guerre de l’information, c’est que cette crainte n’existe pas. Il se peut même qu’on se trouve à un stade où le système cherche psychologiquement l’assentiment admiratif de l’opinion américaine devant l’efficacité de ces nouvelles techniques de l’information, et la manière brillante dont s’en servent les dirigeants étasuniens. Comme le fait remarquer Caitltin JOHSTONE, on commence à fabriquer ouvertement le consentement du public à ce qu’on lui mente « pour son propre bien « . Le système perd son âme, remet en question ces mêmes valeurs dont il dit qu’il se bat pour elles. Dans la culture des États Unis, le mensonge a toujours été la faute la plus grave. Aujourd’hui il est légitimé. Quel retournement et comme la crise du système est profonde…
En résumé, on est là dans une évolution effrayante des procédés de l’information et de la communication dont la théorie et les méthodes sont en train d’être développés aux États unis et pourrait se répandre dans le monde.
Goebbels disait « plus le mensonge est gros, plus il passe ». Cette théorie semble désormais périmée et remplacée par une autre où le mensonge a toute sa place et où il est même légitimé.
Par Djamel LABIDI
Source: Le Grand Soir