Au bout de 40 ans, de lutte et de jihad, jour pour jour, haj Abou Taleb a finalement pris congé. Déluge d’al-Aqsa aura été sa dernière bataille.
Originaire de la localité sudiste de ‘Adchite, Taleb Sami Abdallah avait à peine 15 ans lorsqu’il a rejoint les rangs de la Résistance islamique. En 1984. Deux ans après l’invasion israélienne du Liban et un an avant que le Hezbollah ne l’annonce officiellement. C’est à ce moment-là que sayed Hassan Nasrallah l’a connu.
Pendant ces 40 ans, il participera à toutes les batailles de la résistance islamique : « Harb al-Tahrir », celle de la libération de l’occupation israélienne du Liban jusqu’en l’an 2000. « Il a été chef de l’axe de Siddiqine, puis de Bint Jbeil », selon sayed Nasrallah.
Il passera quelque temps entre 1992 et 1994 en Bosnie Herzégovine où le Hezbollah avait envoyé des combattants pour former les jeunes bosniaques musulmans qui faisaient l’objet de massacres par les serbes.
Il fera bien entendu part à « Harb Tammouz », la guerre de juillet 2006, où il a aussi été un chef sur les axes Maroun ar-Ras, Bint Jbeil, le carré sécuritaire.
Il ne manquera pas de faire part à la guerre contre les groupes takfiristes jihadistes en Syrie pour protéger les frontières et le territoire libanais. Des images le montrent avec le commandant jihadique qui conduisait la bataille dans ce pays, le martyr Moustafa Badreddine et le chef de la force al-Qods des Gardiens de la révolution le martyr Qassem Soleimani.
Dans la dernière bataille, celle de soutien au Déluge d’al-Aqsa à Gaza, il commandait les opérations militaires contre les positions de l’ennemi israélien dans le secteur oriental de la frontière avec la Palestine occupée, jusqu’au Golan syrien occupé.
L’ayant tué ainsi que trois de ses compagnons de route, le 11 juin dernier, lors d’un raid sur une maison à Jwayya, les Israéliens estiment avoir éliminé un gros poisson. Il est identifié comme l’un des plus importants chefs de la résistance qui ont été tués depuis le 8 octobre, date du lancement des hostilités depuis le front libanais, en soutien à Gaza.
Il était le commandant de l’Unité Nasr, du front sud, s’étaient targués les responsables israéliens qui n’arrivent pas depuis 8 mois à dissuader la résistance libanaise de poursuivre son soutien à Gaza. Le numéro un du Hezbollah a confirmé son poste, en lui consacrant une partie de son discours ce mercredi. Non sans rappeler une règle d’or de la résistance : le martyre de ses chefs la pousse à davantage de mobilisation.
A l’instar de ses confrères de la résistance, ceux qui l’ont précédé en martyrs, il était peu connu. Comme eux, il faut attendre leur martyre pour que leur biographie soit diffusée. En partie certes.
Les vidéos et photos rendues publiques montrent un homme dont l’élégance vestimentaire puise dans la simplicité. Pour ceux qui l’ont côtoyé, ayant ou pas connu son poste, la modestie était son image de marque. Et son amour pour les autres. « Et un sourire annonciateur sur le visage », selon sayed Nasrallah.
Il pensait à tous
Sa sociabilité l’illustrait. Le fait qu’il était inconnu lui avait permis une certaine liberté d’action.
Avec sa famille, il ne ratait pas les occasions de les rencontrer, pendant les fêtes de l’al-Aïd entre autres, quand son temps le lui permettait.
Pour les enfants, il apportait toujours des friandises. « Je vous ai fait une petite épicerie là-bas. Allez choisir ce que vous voulez ».
Sa nièce Nadine qui a partagé sur Facebook des souvenirs avec lui, raconte qu’il ne se ménageait aucune tâche. Pour les barbecues familiaux, c’était lui qui préparait les brochets de viandes, qui faisait griller les épis de maïs. Et lorsqu’il disparaissait, il nettoyait la cuisine avec les filles.
« Je t’ai apporté des côtelettes, Ammo », se souvient-elle aussi de ces festins.
Il organisait avec eux des sorties et des randonnées dans les prairies et les montagnes. Et les encourageait à faire du sport.
« Il nous couvrait tout le temps de son amour », le décrit-elle. Il trouvait toujours le temps de penser à tous.
Il s’occupait de tout
Fatima, une journaliste et professeure universitaire qui l’avait connu dans son village au sud se souvient qu’il prenait soin de son poulailler, pendant ses absences à Beyrouth. Qu’il les nettoyait quand ils devenaient sales. « Oui Hajjé, je m’en occupe, ne t’inquiète pas », lui disait-il, a-t-elle rapporté sur les réseaux sociaux. Elle est surprise par sa propension à faire des tâches modestes, alors qu’elle savait qu’il était un commandant de la résistance.
Il offrait ses bons offices aux autres, sans qu’ils le lui demandent. Il s’occupait de tout.
Il s’intéressait à tout
Mohamad Kawthrani, un responsable dans l’organisation Risalate, Messages, chargée des activités artistiques de la résistance a raconté après le martyre d’Abou Taleb comment il avait fait sa connaissance, le moment de l’organisation d’une cérémonie qui célèbre l’histoire de la résistance. Ayant appris son thème, c’était lui, « Haj Abou Taleb », qui l’a contacté pour lui proposer ses bons offices.
C’est grâce à lui qu’une scène supplémentaire a été ajoutée : « une scène vivante d’une opération de la résistance dans laquelle sont impliquées toutes ses branches : les forces spéciales, antis blindés, de génie, défense aérienne, artillerie… » Plusieurs centaines de combattants de son unité y avaient alors participé. Mohamad se rappelle qu’Abou Taleb était présent lors des entrainements. Après la diffusion de la scène qui a été « la plus spectaculaire de toutes », il a tenu à remercier les organisateurs. Mohamad rapporte qu’il a été épaté par le fait que malgré ses missions militaires, il pouvait s’intéresser au domaine artistique.
Il s’intéressait à tout. Et toujours au service des autres.
Seulement « le martyr »
Avec ses compagnons de route, les combattants de la résistance, il insistait sur cette qualité d’être au service des autres. De la oumma lorsqu’il s’agit des batailles.
« Chacun d’entre nous devrait inscrire sa place dans cet honneur, la prochaine bataille, la bataille du Vrai et de l’Islam, la bataille au cours de laquelle nous allons honorer la oumma islamique », a-t-il conseillé lors d’une rencontre avec les combattants de la résistance islamique.
Il les encourageait à l’abnégation et au sacrifice, toujours au service des autres. « Quiconque voudrait obtenir le bonheur divin, les bienfaits et les dons divins, devrait consentir des sacrifices pour le bien des croyants et des musulmans ».
Particularité dans son discours avec ses combattants : il les encourageait aussi à poursuivre leurs études universitaires.
Et les incitait à observer la prière de la nuit, « lutter contre le plaisir du sommeil en faveur du plaisir de la rencontre avec Dieu », selon ses termes.
Penser à tous, s’occuper de tout et s’intéresser à tout, la cuisine, le sport, l’art, les sciences, l’invocation, la prière, et le jihad… semble aussi avoir été sa philosophie de vie.
Mais plus que tout, le martyre demeure le colon ombilicale qui relie toutes les étapes de la vie d’Abou Taleb. Dans toutes les batailles qu’il a menées, il a ambitionné ce statut « des vivants auprès de Dieu bien pourvus », selon le verset coranique.
« Je ne veux pas que vous mettiez ‘le commandant’, mais seulement ‘le martyr’ », se souvient sa nièce qu’il avait recommandé à sa famille d’écrire sur sa pierre tombale.
Al-Qods, la cause centrale.
L’an dernier, lors d’une interview avec al-Manar, il avait adressé une message au numéro un du Hezbollah en lui disant. « Tu disposes de soldats mobilisés, qui font partie des fils d’Ali et de Fatima, les fils de hassan et Hussein, ls fils du messager de Dieu (P) et des centaines de combattants sur la voie du martyre qui sont prêts au sacrifice et au combat, pour défendre la dignité de notre terre, l’honneur de notre patrie, et pour soutenir nos gens en Palestine et la cause d’al-Qods, qui restera la cause centrale de tous les peuples arabes et islamiques et pour les libres de ce monde ».
À l’instar de ses compagnons de route qui l’avaient précédé, cette finalité du martyre s’inscrit dans la voie de la lutte contre l’oppression et l’injustice. Et surtout, par amour pour Allah.
Son invocation préférée « Ilahi, mon Dieu, Tu es comme j’aime que Tu sois. Fais-en sorte que je sois comme Tu veux que je sois », est celui que l’on l’entendre réciter pendant ses discours.
Et aussi : « Mon Dieu, fais-en sorte que le meilleur de ma vie soit à sa fin, que la meilleure de mon action soit sa finalité et que le meilleur de mes jours soit celui de Ta rencontre ».
La guerre sera longue
Lors de l’éclatement de la dernière guerre, c’est lui qui a lancé la première opération anti-israélienne le 8 octobre, a confié S. Nasrallah.
Aurait-il pressenti que l’heure de « Ta rencontre » avait sonné ?
Sa nièce raconte que tout ce qu’elle sait de lui pendant cette étape est qu’il ne dormait plus. Pendant les rares rencontres avec la famille, il ne soufflait mot de cette guerre, ni ne disait ce qui se passait sur le front. Rien.
Sauf une seule chose, se rappelle Nadine : « Il nous avait dit que cette guerre sera longue ».
Source: Divers