En août 2023, deux mois avant l’éclatement de la guerre à Gaza, le ministre de la Défense israélien Yoav Galant avait mis en garde « de ramener le Liban à l’âge de pierre, au cas où le Hezbollah attaquait Israël ».
Quelques jours plus tard, le numéro un du Hezbollah lui a tonné : « Je ne nie pas qu’Israël a les moyens de ramener le Liban à l’âge de pierre. Je dis aux dirigeants de l’ennemi, vous aussi serez ramenés à l’âge de pierre si vous lancez une guerre contre le Liban ». Rappelant que la résistance détient des missiles de précision qui peuvent le faire. Et en grande quantité !
Cet échange belliqueux avait eu lieu pendant la tension à la frontière sur fond de l’installation par la résistance libanaise d’une tente en territoire libanais occupé par « Israël », et revendiqué par le Liban.
Aujourd’hui, un nouvel échange est intervenu, dans un contexte différent, après 9 mois de confrontation de part et d’autre de la frontalière libano-palestinienne, en soutien à Gaza. La résistance islamique y a utilisé « une partie de son arsenal » qui a fait ses preuves.
Après avoir presque entièrement détruit la bande de Gaza, le Premier ministre israélien et d’autres dirigeants israéliens multiplient les menaces d’une extension de la guerre, évoquant parfois « une guerre totale ».
Et sayed Hassan Nasrallah de les mettre en garde contre des attaques « par terre, par mer et par les airs », tout en assurant de l’éventualité du scénario de la pénétration du Hezbollah en Galilée.
Des images, des menaces et des images
Cette fois-ci, les menaces de sayed Hassan Nasrallah ont été précédées puis suivies par la diffusion d’images aériennes dans une première vidéo de plusieurs sites israéliens névralgiques militaires, sécuritaires, économiques, civils dans la région de Haïfa, puis par une 2eme vidéo mettant en exergue une douzaine de sites israéliens. Dans la seconde vidéo, certaines images aériennes des sites ne figurent pas dans la première. Dont la centrale de Dimona et le port d’Ashdod situés au sud de l’entité, bien loin de Haïfa au nord.
Sayed Nasrallah avait indiqué dans son discours détenir plusieurs heures d’images aériennes parmi lesquelles les 9 minutes sélectionnées pour la première vidéo. La minute de la seconde en fait partie. Il n’a pas omis de signaler que c’est le drone de reconnaissance Hodhod qui les a prises, sans avoir été intercepté.
Au cours de ces 9 mois, le Hezbollah a exposé une partie de son arsenal, des drones d’attaque et des missiles qui ont le plus souvent atteint leurs cibles, sur les sites militaires israéliens et dans les colonies limitrophes jusqu’à 40 km de profondeur. Et ce à l’insu des anti aériens et anti missiles israéliens Dôme de fer et Fronde de David.
Des projectiles de quelques mètres à 300 km
Or, sur la panoplie de projectiles dont elle dispose, la résistance n’a encore utilisé que ceux de courte portée dont les Bourkan et les Falaq.
Ses Fajr3 et 5 et ses Raad 2 et 3 d’une moyenne portée de 100 km ne sont pas encore entrés en action. Ni les Khaybar 1 ou Zalzal 2 allant au-delà des 100 km. Ni les Fateh 110 dont la portée peut atteindre 300 km. Ces missiles de moyenne et longue portée peuvent frapper plus en profondeur. Certains sont d’autant plus précis qu’ils peuvent être maniés après leur lancement afin de changer leur trajectoire. Le Hezbollah ne cache pas qu’il œuvre pour que tous ses projectiles soient équipés des systèmes de guidage, rapporte une étude du site de la télévision qatarie al-Jazeera.
Modus operandi : coordination et submersion
A la lumière du modus operandi de certaines opérations réalisées ces derniers mois, une utilisation coordonnée et en grand nombre de plusieurs types de ces projectiles de courte portée peut neutraliser les systèmes anti aériens et anti missiles israéliens en les submergeant et par conséquent en facilitant les tirs des missiles de plus longue portée.
Par ailleurs, une distribution de leurs plateformes sur une large géographie rend difficile leur localisation, leur détection et leur destruction.
Selon l’étude d’al-Jazeera, le Hezbollah conçoit des lance-roquettes ou missiles qui présentent quatre caractéristiques lesquelles constituent ses points forts.
La première est qu’elles sont mobiles.
La seconde est qu’elles sont flexibles et peuvent être utilisées sur divers terrains.
La troisième est qu’elles peuvent être cachées de même pour leurs sites de stockage.
Le quatrième avantage est que la formation des troupes et la nature des plates-formes permettent le déploiement rapide de lancements de roquettes et de missiles, ce qui est essentiel d’un point de vue militaire pour des attaques surprises ou des réponses rapides.
Des têtes explosives de plus en plus lourdes
Les missiles et roquettes du Hezbollah présentent aussi l’avantage de pouvoir porter des têtes explosives plus importantes comme les Zalzal 1 et 2 qui peuvent transporter jusqu’à 600 kg.
Le Bourkan qu’il a déjà utilisé peut en porter de 60kg à 100 kg et jusqu’à 500 kg quoiqu’étant de courte portée. Avec 100 kg d’explosifs, sa capacité destructrice peut atteindre un diamètre de 150 mètres.
Certaines têtes explosives dont disposent la résistance libanaise sont des antis blindés comme le Cornet anti char qui a déjà été utilisé pendant la guerre 2006. Selon al-Jazeera, elle possède aussi certains anti navire de type 800 ONIX de fabrication russe qui peuvent porter des têtes de 250 kg et qui constituent une menace pour les navires de guerre.
Les drones, une polyvalence pour plusieurs applications
Le Hezbollah a aussi utilisé ses drones du Hezbollah, « dont il en détiendrait 2000 » selon certaines estimations militaires citées par al-Jazeera. Ils présentent une panoplie qui leur confère plusieurs caractéristiques, dont en premier la flexibilité militaire. En plus du fait que les antiaériens israéliens ont du mal à les intercepter.
Ils présentent différentes gammes d’attaque et de défense avec différentes charges utiles et appareils, y compris des capteurs, des caméras et des armes. Une polyvalence qui les rend adaptables à un large éventail d’applications. Plus important encore, ces drones peuvent fonctionner dans un système intégré avec des missiles de la même manière que la guerre interarmes. Un style de combat qui cherche à intégrer les différentes armes de combat de l’armée pour obtenir des effets complémentaires mutuels.
Par exemple, dans les premières étapes d’une attaque tous azimuts, les drones peuvent épuiser les capacités de la défense aérienne israélienne dans une zone, de sorte qu’elles se trouvent dans l’incapacité de repousser les tirs de missiles qui s’en suivent ou sont réalisés simultanément.
Guerre électronique et saturation des systèmes de défense
Toujours selon al-Jazeera, le Hezbollah s’efforce également d’améliorer ses capacités en matière de guerre électronique, y compris les méthodes de brouillage et de leurre pour protéger ses systèmes de missiles et perturber les défenses de l’armée d’occupation, ce qui affecte fortement les systèmes de défense aérienne israéliens. « Ces gammes doivent encore être développées, mais on pense qu’à un moment donné, les missiles du Hezbollah pourront saturer les systèmes de défense tels que Dôme de fer et pénétrer ses fortifications pour réaliser des frappes efficaces », estime le site de la chaine qatarie.
Et al-Jazeera de conclure : « Il ne s’agit donc pas seulement de technologie de missile, mais de par la nature de la bataille menée par une partie dans une autre direction, même si cette partie est techniquement plus faible. La principale caractéristique du succès dans la gestion des batailles reste la flexibilité, plus vous êtes flexible, meilleure est votre capacité à vous adapter aux variables, et c’est en partie la base d’une bonne bataille, dans n’importe quelle guerre. »
Les Israéliens, entre extension de la guerre et guerre totale
Les responsables sécuritaires et militaires israéliens prennent au sérieux les menaces du numéro un du Hezbollah.
L’un d’entre eux, le général de division à la retraite, Yitzhak Brik a déclaré samedi que la déclaration de Tel Aviv d’une guerre contre le Liban veut dire « un suicide général pour Israël ». Mettant en garde que « les répercussions de la guerre contre le Liban seront plus dangereuses que dans le passé ».
D’autres responsables israéliens, à l’instar du colonel de réserve israélien, Kobi Marom, manifestement agacés par le fait que c’est « le Hezbollah qui dicte la vigueur de l’escalade et son cadre » prônent que l’armée d’occupation « prenne l’initiative dans le nord ».
Marom met toutefois en garde contre une guerre totale au cours de laquelle « les missiles du Hezbollah sur les agglomérations résidentielles à Tel Aviv, Gush Dan et Haïfa, frapperont des infrastructures comme l’électricité et l’eau et les détruiront ».
La hantise de la guerre totale
Un rapport réalisé par une centaine d’experts israéliens militaires, économiques et gestionnaires, publié sur le site israélien économique Calcatis révèle nettement la principale hantise des Israéliens. Dirigé par le professeur Boaz Ganor, le fondateur il y a 30 ans de l’Institut de la politique du contre-terrorisme, à l’Université Reichman, sur 130 pages, il met en exergue une seule appréhension: la guerre totale.
Elle se concrétiserait par deux actions qui se complètent : la première étant une guerre sur plusieurs fronts, d’une intensité énorme « entre 2500 et 3000 tirs par jour », qui neutraliseraient les antiaériens, épuiseraient ses stocks de munitions, et frapperaient aussi bien des sites militaires que des infrastructures existentielles civiles, dont les centrales électriques et hydrauliques.
La seconde est la conquête de la Galilée par l’Unité Redwan de la résistance islamique. Il en découlerait que l’armée israélienne serait amenée à combattre des « saboteurs à l’intérieur du territoire israélien au détriment de l’orientation des efforts vers des opérations immédiates au Liban ». Également une première. Dans toutes les guerres précédentes, les combats terrestres avaient eu lieu sur le sol libanais.
L’étude met surtout l’accent sur les répercussions sur public israélien, l’état de panique qui s’emparerait de lui, le chaos qui en découlerait, la crise de confiance avec les dirigeants qui pourrait s’installer, le sentiment d’abandon… Bref, une première dans le conflit. Dans toutes les précédentes guerres, seuls les civils libanais en pâtissaient.
La guerre multi fronts déjà en place.
Depuis l’éclatement de la guerre de Gaza, le premier scénario des fronts multiples s’est concrétisé. Mais en partie.
La résistance libanaise, est certes entrée directement en action avec les forces de Sanaa et la résistance irakienne. Aux côtés de la résistance palestinienne à Gaza et en Cisjordanie. Mais l’intensité de cet affrontement est toujours en-deca des prévisions de l’étude israélienne. On n’en est pas encore aux « 2500 à 3000 tirs par jours ». « Nous n’avons utilisé qu’une partie de notre arsenal », a admis sayed Nasrallah.
De même, leur étendue géographique est toujours limitée aux sites militaires frontaliers et aux colonies limitrophes.
2eme vidéo : Message du Hezbollah aux Américains ?
Concernant le second scénario, ce sont les dirigeants américains qui en sont chargés depuis le début de la guerre, en dépêchant leurs porte-avions en Méditerranée et leur émissaire diplomatique. Tout en faisant croire qu’ils font pression sur les dirigeants israéliens pour circonscrire les limites de l’affrontement.
Après avoir échoué dans leurs tentatives de faire cesser les tirs libanais, ils ont laissé entendre ces derniers temps qu’ils seraient partant pour une extension de la guerre du côté du libanais. Tout en restant attachés à éviter l’embrasement total.
Ne contrôlant plus toutes les cartes du Moyen-Orient, ils ne peuvent garantir que l’extension de la guerre n’entraine une guerre totale alors que le processus de glissement est en marche progressive depuis le 8 octobre.
D’autant que leurs pressions ne semblent pas figurer dans les calculs de Sayed Nasrallah. « La possibilité que la force al-Radwan entre en Galilée est toujours de mise », a-t-il averti dans son dernier discours.
Des observateurs ont constaté que la seconde vidéo des images aériennes de sites israéliens en profondeur a été diffusée pendant l’heure de pointe des éditions d’information des télévisions américaines. Et pendant que le porte-avions Eisenhower venait d’arriver en Méditerranée après avoir quitté la mer Rouge. Le message leur serait adressée.
Guerre totale, sans âge de pierre
A la lumière de l’étude israélienne, la guerre totale est déjà lancée, sa première phase ayant été son aspect multi fronts. L’entrée des combattants libanais en Galilée ne ferait qu’enclencher une phase ultérieure au cours de laquelle ils pourraient alors utiliser les missiles qu’il n’a pas encore utilisés.
Mais de là à croire qu’une guerre totale aboutit nécessairement à un retour du Liban et de la Palestine occupée vers l’âge de pierre relève des spéculations arbitraires.
Déjà, des deux côtés de la frontière, les destructions sont bien visibles. Celles dans les zones libanaises sont certes plus dévastatrices, confirmant une supériorité technologique israélienne incontestable. Mais elles n’affectent nullement les tirs de la résistance, un peu moins destructeurs, mais avec des effets similaires. Et c’est justement là que le bât blesse.
Raison pour laquelle l’équation âge de pierre contre âge de pierre que sayed Nasrallah a établie est toujours aussi dissuasive. Paradoxalement, son maintien est sans doute dans l’intérêt non seulement des civils libanais mais aussi israéliens !
Source: Divers