Depuis la création de l’entité occupante en 1948, la relation entre le public haredi et cette entité a toujours été complexe et marquée par des tensions. Les Haredim, qui considéraient la proclamation d’un État laïque comme une forme de sacrifice partielle, voire comme une profanation du sacré, ont d’abord choisi de rester en marge, tout en préservant leur indépendance culturelle et sociale. Mais avec le temps, la situation a évolué, et le public haredi a progressivement commencé à s’intégrer dans les institutions du pouvoir et de la politique israélienne.
La première étape de cette intégration s’est manifestée par la création de partis politiques haredim, comme Agudat Yisrael, qui ont participé aux élections à la Knesset et ont rejoint des coalitions gouvernementales. Leur participation politique visait avant tout à défendre les intérêts de la communauté haredie, notamment dans les domaines de l’éducation, de l’exemption du service militaire et du financement des institutions religieuses. Avec le temps, les partis haredim sont devenus des acteurs centraux de la scène politique, détenant les clés de l’équilibre des forces et imposant leur agenda dans de nombreux domaines.
Cependant, cette transition de la marge vers le centre de la politique ne s’est pas faite facilement. La communauté haredie a dû affronter des défis internes et externes, tels que les exigences en matière de service militaire, l’intégration au marché du travail et les relations avec la société laïque. De leur côté, les Israéliens ont dû s’adapter à une présence haredie de plus en plus marquée dans l’espace public et dans les sphères décisionnelles. Ces tensions se sont manifestées sous forme de protestations, de législations et de conflits médiatiques.
L’une des questions centrales ayant intensifié les tensions entre les Haredim et le reste de la société israélienne est celle de la conscription dans l’armée d’occupation. Bien que la loi permette aux étudiants des institutions religieuses de différer leur service militaire, les appels à un « partage du fardeau » ont conduit à des initiatives législatives et à des décisions de la Cour suprême visant à annuler les arrangements existants. Les réactions des Haredim ont été vives, provoquant des crises au sein des coalitions gouvernementales et des appels à se retirer du gouvernement.
Parallèlement, la question du financement des institutions éducatives haredies a suscité de profondes divergences. La revendication d’une égalité dans les financements, associée aux critiques portant sur le contenu de l’enseignement et l’absence de matières fondamentales, a créé de nouveaux points de friction entre les Haredim et les institutions officielles. Les partis haredim ont utilisé leur pouvoir politique pour garantir la persistance du soutien financier à leurs établissements, allant jusqu’à menacer parfois de se retirer du gouvernement si leurs exigences n’étaient pas satisfaites.
Ces dernières années, les Haredim sont devenus des partenaires clés des coalitions gouvernementales, tenant des portefeuilles ministériels importants tels que la Santé, l’Intérieur ou la construction. Le contrôle de ces ministères leur permet d’influencer les politiques dans des domaines centraux et de garantir les intérêts de leur public. Toutefois, cette participation soulève des critiques de la part des courants laïcs, qui voient une imposition religieuse et une atteinte au caractère démocratique de l’État.
La dernière menace initiée par le ministre de la Construction et du Logement, Yitzhak Goldknopf, de se retirer du gouvernement si des progrès significatifs ne sont pas réalisés concernant la loi sur l’exemption du service militaire avant la fête de Shavouot, constitue un exemple clair de cette tension. Goldknopf, représentant de la communauté Gur, a déclaré que sans avancée législative assurant la poursuite de l’exemption pour les jeunes haredim, il ne pourrait pas continuer à faire partie du gouvernement actuel. Cette menace n’est pas un cas isolé : elle reflète un sentiment croissant, au sein de la direction haredie, de perte de confiance envers le gouvernement et de marginalisation de leurs dossiers fondamentaux.
Le conflit autour de la loi sur le service militaire est devenu un symbole des nouvelles dynamiques au sein de la coalition. Les Haredim, qui avaient l’habitude d’un soutien constant de leurs partenaires gouvernementaux, se voient aujourd’hui contraints de recourir à des menaces de retrait pour faire avancer leurs priorités. Ce phénomène illustre un changement dans leur statut politique : d’un côté, ils sont indispensables au maintien du gouvernement ; de l’autre, ils doivent recourir à des moyens de pression pour influer sur les décisions.
Au sein même du public haredi, des voix s’élèvent pour réclamer un changement stratégique. Un nombre croissant de membres de cette communauté commencent à poser des questions fondamentales sur l’avenir : la politique d’isolement est-elle encore pertinente à l’ère de l’ouverture technologique et des pressions économiques croissantes ? Le refus de coopérer avec les institutions officielles dans les domaines du service militaire et de l’emploi ne nuit-il pas, à long terme, à la communauté haredie elle-même ? Ces interrogations sont en train de remodeler le discours interne des Haredim ainsi que les équilibres de pouvoir au sein de leurs partis.
Sur la scène politique plus large, l’intégration des Haredim soulève des questions fondamentales sur la nature même de « l’État » : jusqu’à quel point peut-on préserver le statu quo religieux établi à l’époque de Ben Gourion ? Et les revendications des Haredim sont-elles conformes aux valeurs d’égalité, de citoyenneté et de responsabilité collective ? Ces interrogations provoquent des débats intenses au sein du système politique et de la « société civile », et suscitent parfois une rupture entre différentes composantes de la population.
La tempête politique entourant les récentes menaces de retrait souligne la sensibilité extrême de la situation. Le gouvernement Netanyahou se retrouve dans une impasse : d’un côté, il dépend du partenariat avec les Haredim pour sa survie, et de l’autre, il subit des pressions du public laïc et du système judiciaire pour adopter des politiques plus équitables.
Cette dynamique pourrait mener à une escalade politique supplémentaire, voire à l’effondrement de la coalition ou à des élections anticipées si aucun compromis satisfaisant n’est trouvé.
La question de l’intégration des Haredim demeure ainsi l’un des enjeux centraux et les plus complexes de l’espace public israélien. Elle touche au cœur du conflit entre un « État juif » et un « État démocratique », entre tradition et modernité, entre le maintien d’une identité propre et la participation à la responsabilité nationale. La manière dont ces enjeux seront traités ne déterminera pas seulement l’avenir de la communauté haredie, mais aussi celui de l’ensemble de la société israélienne.
Sources: Quds net; traduit par notre rédaction