Le musicien et compositeur libanais engagé Ziad Rahbani, l’icône fils de l’icône de la chanson arabe Fairouz , est décédé ce samedi à l’âge de 69 ans.
« Samedi à 09h00 du matin, le cœur du grand artiste et créateur Ziad Rahbani s’est arrêté de battre », a affirmé un communiqué de l’hôpital où il était traité à Beyrouth.
Musicien, compositeur, metteur en scène, Ziad Rahbani est considéré comme l’une des figures les plus marquantes du monde artistique libanais, alliant génie musical et pensée théâtrale dans un engagement politique et social imprégné par les idées communistes . Le tout avec un ton critique très sarcastique qui fait autant rire que pleurer.
Dans sa carrière, Ziad Rahbani a veillé à ne pas être tout-à-fait le fils de ses pères. Se frayant le chemin vers une école différente.
Ses chansons se sont démarquées de l’école de son père et oncle, le tandem Assi et Mansour Rahbani, deux grands noms pionniers de la musique libanaise moderne du XXe siècle. Il gardera d’eux ce mixage entre les intruments orientaux et occidentaux. Mais il s’approchera du Jazz, la musique des Afro-américains. En harmonie avec ses affinités avec les Damnés de la terre.
De même pour les pièces théâtrales, il s’écartera des compositions lyriques et idéalistes et s’impliquera davantage dans la critique satirique de la société libanaise, tiraillée par ses divergences communautaires, ses contradictions déroutantes, ses manies ostentatoires qu’il ne se lassera de stigmatiser. Tout en faisant rire, sans jamais rire lui-même.
« Je n’essaie pas de changer le pays. Mais j’essaie de ne pas le laisser me changer », disait-il. Lui, qui était connu pour son style bohémien refusant les offres de millions de dollars des grandes sociétés artistiques arabes.
L’une de ses premières pièces, « L’Auberge de la joie », réalisée en 1974 est considérée comme une prémonition de la guerre civile qui allait éclater un an plus tard.
« Quoi pour demain », en 1978, questionne l’avenir du Liban en plein dans la guerre. Des questions sans réponse.
Une autre pièce, « Un long-métrage américain », réalisée en 1980 reste toujours d’actualité.
S’en suivront « Fiasco » et « De la dignité et du peuple obstiné ». Une vision inquiète.
Il a été également un journaliste radio actif, a écrit pour des journaux tels qu’Al-Nidaa, An-Nahar et Al-Akhbar, et animé des émissions satiriques critiquant la politique, la société, le confessionalisme, la corruption…
Les interviews qu’il accordait aux médias libanais étaient un moment de grande audience et faisaient plusieurs jours la Une.
Deux rencontres avec sayed?
Dans l’une d’entre elles, il avait confié que sa mère Fairouz, l’icône de la chanson libanaise appréciait le secrétaire général du Hezbollah sayed Hassan Nasrallah. Un tollé s’en suivit.
Dans une autre, il dira vouloir le rencontrer. Dans une troisième, il va refuser de dévoiler s’il l’a fait.
On raconte sur les réseaux qu’il l’a rencontré à deux reprises. Il lui avait promis que la libération de la Palestine est une promesse divine inévitable. L’on croirait que sayed Nasrallah avait dissipé son pessimisme.
Son premier contact avec la résistance s’est produit lors de la victoire de l’an 2006 contre Israël. Il avait participé à la cérémonie qui l’avait célébrée.
Quelques années plus tard, il va composer à sa mère sa chanson « Oui il y a un espoir » qui portera le titre de son avant-dernier album. Et « La terre est à vous ». Un brin d’espoir et un gros succès.
La vie sans Abou Hadi
On raconte qu’il a été très affecté par le martyre de Sayed Nasrallah. Il aurait dit ses derniers jours : « La vie sans Abou Hadi est un enfer trempé dans de miel ». « Si je meurs, c’est parce que sayed me manque et non à cause de la maladie ».
Son cousin, le célèbre chanteur et compositeur Ghassan Rahbani a révélé que son cœur était meurtri à cause de ce qui se passait à Gaza. Lui qui a dit dans l’une de ses interviews : « Ce sont les plus faibles qui tuent les enfants ».
Sa volonté de se soigner faiblissait
Son avocate, Dona Jaalouk, qui a été la seule « à parler en son nom sans se soucier de ce qu’il dirait » a été parmi les 5 seules personnes qui le visitaient ses derniers jours. Elle rapporte ses dernières paroles : « Tu m’avais dit que Dieu rassemble les gens comme ils doivent de se rassembler ». La préoccupation de sa vie, il l’a confiera à Dieu.
Le ministre de la Culture Ghassan Salamé qui l’a aussi rencontré ses derniers jours écrira sur X après son décès : « Nous redoutions que ce jour arrive, car nous savions que son état de santé s’aggravait et que sa volonté de se faire soigner faiblissait ». C’est comme s’il ne voulait plus rester.
« Je n’aime pas les hôpitaux, ni les traitements, ce n’est pas parce que je suis fort… mais parce que je vois que tout s’effondre autour de nous. A quoi bon de continuer », a-t-il confié à un ami.
Les 18 sont unies
Cette nuit, tous les Libanais pleurent « Ziad » comme ils se plaisaient à l’appeler. Mêmes ceux qui étaient ses adversaires jurés. Il était leur porte-parole, leur porte-douleur, la voix de leurs cris étouffés. De génération en génération, ayant vécu ensemble la guerre civile, les guerres israéliennes, les campagnes internes et externes contre leur pays qui n’en finissent jamais… Et la résistance!
« Une seule fois et seulement cette fois-ci, les 18 se sont unies par la douleur de ton départ », a écrit si pertinemment un admirateur, en référence aux 18 communautés libanaises. Un voeu qui lui était cher.
Sur les réseaux sociaux, des milliers de posts, des musulmans, des chrétiens, des pratiquants, des moins pratiquants, des laïcs, lui rendent hommage.
Les journalistes qui l’ont interviewé se souviennent des moments forts qui ont fait tant rire par leur franc-parler. Ses amis qui l’ont fréquenté évoquent ses plaisanteries piquantes qui ne vexaient jamais personne. Et ses fans qui ont appris par cœur au fil des ans les paroles de ses chansons et de ses pièces, les ont repris, comme des adages.
Beaucoup ont présenté leurs condoléances à sa mère, la Fairouz du Liban, partageant sa douleur. Âgée de 93 ans, elle n’a encore rien dit.
Tous, dans les 18 communautés confondues, ont convenu de participer à ses obsèques prévues lundi prochain. Pour un dernier Adieu. Ou pour un au revoir.
Plus que jamais, à son départ, Ziad caresse la mémoire de tous les Libanais…
Hommages
Une source d’inspiration pour les peuples libres
Le Hezbollah a déploré son décès estimant qu’il s’agit « d’une perte d’une figure artistique nationale et résistante, après une carrière pleine de don, d’amour et de créativité ».
Saluant en lui une personnalité qui par « son art et ses prises de position, a incarné un modèle d’art engagé au service de la nation et de l’humanité », il a ajouté que Ziyad Rahbani « a dépeint sur scène l’image de la nation dont tout être humain rêve : une nation de dignité, d’unité et de coexistence ».
Il est devenu « une source d’inspiration pour tous les peuples libres dans leur défense de causes justes », selon le Hezbollah, affirmant que « son héritage artistique et intellectuel restera un phare d’espoir pour les générations futures, qui puiseront dans la source de son art pour construire une patrie libre et résiliente ».
« Le miroir des opprimés… Le doux Liban »
Les dirigeants du pays lui ont aussi rendu un hommage.
Le président libanais Joseph Aoun a estimé que Ziad Rahbani était « une conscience vive, une voix qui s’était rebellée contre l’injustice, et un miroir sincère des opprimés et des marginalisés ».
Le président du Parlement, Nabih Berri, lui a rendu hommage en ces termes : il « incarnait le doux Liban qu’il aimait, le composant en poèmes, l’interprétant en mélodies et le chantant en chanson. »
Le Premier ministre Nawaf Salam a pour sa part déclaré : « Le Liban perd un artiste exceptionnel et créatif, une voix libre qui est restée fidèle aux valeurs de justice et de dignité » et qui disait « ce que beaucoup n’osaient pas dire ».