Israël a tué 6 journalistes dans la bande de Gaza dans la nuit de dimanche à lundi. Cinq d’entre eux travaillaient pour la chaine qatarie al-Jazeera, dont les correspondants Anas al-Sharif et Mohammad Qreiqeh et trois cameramen Ibrahim Zaher, Mohamad Nawfal et Mou’min Aaliwa. Le sixième journaliste martyr est Mohammad Khalidi.
Ils sont tombés en martyrs dans un raid israélien qui a ciblé directement la tente des journalistes, établie en face de l’hôpital al-Chifa à Gaza-ville.
L’armée d’occupation a reconnu avoir tué Anas al-Sharif sous prétexte qu’il est « un terroriste » qui se fait passer pour un journaliste et d’être « le commandant d’une cellule du mouvement Hamas et d’avoir planifié des tirs de roquettes sur des citoyens israéliens et les troupes israéliennes ». Son communiqué a argué avoir trouvé « des documents dans l’enclave qui confirment son appartenance au Hamas ».
« N’oubliez pas la Palestine ». La couverture se poursuit.
Dans ses derniers messages postés sur X dimanche, Anas al-Sharif faisait état d' »intenses » bombardements israéliens sur le territoire palestinien et avait diffusé une courte vidéo montrant des frappes sur la ville de Gaza.
Un texte posthume que le journaliste avait écrit en avril en cas de son martyre a été publié sur son compte lundi matin, où il appelle à « ne pas oublier la Palestine, à ne pas oublier Gaza ».

Une vidéo qu’il avait diffusée sur les réseaux sociaux avec sa petite fille Cham lui faisant dire « que nous ne quitterons jamais Gaza » comme le voudrait Netanyahu, est devenue virale après son martyre.
En rendant hommage à ces journalistes martyrs, le journaliste et documentaliste Tamer al-Masshal a dit pour al-Jazeera : « Hier, il a demandé à la direction d’al-Jazeera de se reposer, pour quelques heures. Il a fermé ses portables en disant qu’il n’a pas dormi depuis plusieurs semaines. Pendant la famine, Anas al-Sharif, Mohamad Qreiqaa et les collègues n’ont pas connu de repos en couvrant la guerre, la famine. Lorsqu’il s’est réveillé, il a vu des centaines de messages sur son portable et s’est culpabilisé. Puis il m’a dit : ils veulent nous prendre pour cible mais je ne quitterai jamais Gaza. »
Selon al-Masshal, ces journalistes martyrs « ont donné une nouvelle signification au travail journalistique sur le terrain… Cela fait plus d’un an et demi qu’ils vivent dans des tentes. Ils sont morts dans une tente … Ils dormaient dans les rues, dans les maisons détruites, pour continuer à livrer leur message »
Et de conclure, les larmes aux yeux : « Leur sang est un dépôt pour continuer à livrer le message avec professionnalisme, responsabilité et humanité. La voix de la vérité ne s’éteindra pas. La voix de Gaza ne sera jamais étouffée. Ni la voix de la Palestine. S’ils pensent qu’en tuant les journalistes, la couverture sera suspendue, sachez qu’elle n le sera jamais ».
« Campagne de diffamation »
En juillet, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) avait accusé l’armée israélienne de mener « une campagne de diffamation » envers le journaliste en le présentant dans des messages en ligne comme un membre du Hamas.
« La tendance d’Israël consistant à qualifier les journalistes de militants sans fournir de preuves crédibles soulève de sérieuses questions sur ses intentions et son respect de la liberté de la presse », a dénoncé Sara Qudah, directrice régionale de l’organisation basée à New York dans la nuit de dimanche à lundi.
« Les journalistes sont des civils et ne doivent jamais être pris pour cible. Ceux qui sont responsables de ces meurtres doivent rendre des comptes », a-t-elle ajouté dans un communiqué.
Conflit avec les journalistes. « Maalech »
Selon la chaîne, la mort des 5 journalistes porte à 10 le bilan de ses journalistes qui ont été tués par l’armée israélienne depuis le début de la guerre israélienne contre la bande de Gaza depuis le 7 octobre 2023. L’armée israélienne a accusé à plusieurs reprises les journalistes de cette chaîne à Gaza d’être des « agents terroristes » affiliés au Hamas.
La couverture que cette télévision, la plus populaire du monde arabe , accorde au conflit israélo-palestinien, révélant les injustices infligées au peuple palestinien, a toujours été une source de conflit avec les autorités de l’occupation israéliennes, alors qu’elle a été la première chaine arabe à accueillir des invités israéliens.
En mai 2022, l’armée israélienne a tué sa correspondante Shireen Abou Akleh à Jénine en Cisjordanie occupée.
Au début de la guerre à Gaza, elle a tué l’épouse du directeur de son bureau dans l’enclave, Wael al-Dahdouh, ainsi que son fils et sa fille qui avait à peine un an dans un raid qui a ciblé directement sa maison à Gaza-ville.
Dahdouh avait alors lancé sa phrase mémorable : « ils se vengent de nous via nos enfants. Maalech. (Ça ne fait rien). Louanges Dieu. Nous appartenons à Dieu et nous Lui revenons ».
En mai 2024, Israël avait déjà décidé d’interdire la diffusion d’Al Jazeera et de fermer ses bureaux.
Mais le conflit ne se limite pax aux journalistes d’al-Jazeera. Israël a tué 238 palestiniens dans la guerre à Gaza.
Un mois auparavant, Israël avait tué la photographe Fatima Hassouna dont le film « Put Your Soul on Your Hand and Walk » qui offre une plongée unique dans l’enfer sans fin des habitants de Gaza venait d’être sélectionné à Cannes.
La cellule de légitimité : les journalistes à abattre

Le journaliste israélien d’investigation Yuval Abraham a décortiqué les justifications avancées par l’armée israélienne pour tuer Anas al-Sharif et d’autres journalistes.
Il rappelle à cet égard que le Département des renseignements militaires israéliens Aman avait au début de la guerre créé une équipe dont les membres étaient chargés de chercher des informations qui puissent accorder de la légitimité aux actions de Tsahal dans la bande de Gaza.
Comme par exemple des tirs de roquettes qui ont raté leur cible, l’utilisation des civils comme bouclier humain, l’exploitation des civils, énumère-t-il.
Toujours selon Abraham, cette équipe baptisée « Cellule de la légitimité » a été chargée de la mission de trouver des journalistes Gazaouis qui puissent entre présentés dans les médias comme étant « des éléments infiltrés du Hamas ». « Mais ils n’en ont pas trouvé », assure Abraham qui s’est toutefois interrogé sur les raisons de cette mission.
« Car ceci devrait lui fournir la légitimité de tuer les journalistes en général », répond-il. « C’est la manière de semer le doute pour justifier les horreurs. Trouver un journaliste infiltré devrait légitimer l’assassinat de tous les autres journalistes », assure-t-il.
Presse internationale non autorisé
Plus généralement, Israël n’a pas autorisé à la presse internationale de travailler librement dans le territoire palestinien depuis le début du conflit.
Seuls quelques médias, triés sur le volet, y sont entrés embarqués (en « embed ») avec l’armée israélienne, leurs reportages étant soumis à une stricte censure militaire, selon l’AFP.
La presse internationale travaille en s’appuyant sur des journalistes et correspondants locaux, qui ont payé un lourd tribut au conflit, déplore l’AFP.
Juste après la conférence de presse
Ce nouveau crime est intervenu après la conférence de presse dimanche du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu qu’il a adressée aux médias étrangers.
Tout en déclarant vouloir autoriser aux journalistes étrangers à y entrer, pour la première fois depuis l’éclatement du conflit, il a accusé la presse internationale qui a couvert les faits de la famine tels quels « d’avoir gobé tout rond la propagande du Hamas »
Netanyahu a surtout dicté la conduite à suivre par les journalistes durant ces visites dans la bande de Gaza. « Les journalistes seraient témoins des initiatives déployées par Israël pour nourrir les civils, des Gazaouis luttant contre le Hamas, et des efforts de l’armée israélienne visant à détruire les infrastructures terroristes. Presque tous les bâtiments sont piégés par le Hamas, et les destructions que le monde entier peut voir sont le fait de l’armée israélienne, qui démolit ces structures après en avoir évacué les civils », rapportent les médias israeliens.
Les directives sont claires pour les journalistes étrangers. L’assassinat des six journalistes palestiniens devrait leur faire comprendre à tous les limites à ne pas franchir.
Curieusement, dans son testament Anas al-Sharif a comme répondu à Netanyahu. S’adressant manifestement aux journalistes : « Je vous conseille de ne pas vous laisser réduire au silence par les chaines, ni de vous laisser freiner par les frontières. Soyez les ponts vers la libération du pays et de son peuple, afin que le soleil de la dignité et de la liberté brille sur notre patrie usurpée. »
Source: Divers