Pour ordonner le contexte des événements entre le Liban et l’ennemi, il est nécessaire d’examiner attentivement plusieurs points. Le plus important est d’identifier la source des informations concernant la reconstruction des capacités du Hezbollah. Ensuite, il faut revoir le fil des menaces israéliennes, les messages transmis par les États-Unis d’Amérique, puis les tentatives diplomatiques émanant de parties arabes et régionales.
Nulle garantie israélienne
Tout a commencé par des fuites du régime d’occupation vers des chaînes de télévision financées par l’Arabie Saoudite et les Émirats, évoquant qu’Israël surveillait la croissance des efforts du Hezbollah pour rebâtir ses capacités. Ensuite, la presse de l’ennemi a pris le relais directement par une série de reportages, d’articles et de déclarations accompagnés d’une première vague de menaces. Simultanément, le représentant de l’armée d’occupation au sein du comité du « Mécanisme » accusait le représentant de l’armée libanaise de ne rien faire pour stopper l’activité du Hezbollah. Il était soutenu par le délégué américain qui « comprenait les préoccupations israéliennes » concernant ce qui se passait au Liban, avant de dire que l’armée libanaise pouvait faire beaucoup.
Pendant ce temps, Morgan Ortagus transmettait des messages d’une partie de son administration qui « ne voyait aucune raison pour que les autorités tiennent compte du Hezbollah dans les dossiers des armes et de la négociation ». Elle rapportait ensuite ce qu’elle disait avoir « appris d’Israël, concernant des détails passionnants sur ce que faisait le Hezbollah pour reconstruire ses capacités », concluant qu’« Israël n’attendra pas longtemps et qu’elle est prête à tout moment à entreprendre la mission de désarmement si le Liban refuse de le faire ».
Quant à l’émissaire politique Tom Barrack, il « réprimandait » les responsables libanais pour leur « manque d’action » et leur absence d’initiative pour avancer vers un projet de règlement global avec Israël. Barrack a ensuite développé ses positions pour affirmer que le Liban « avait une opportunité unique d’empêcher le retour de la guerre, consistant à déclarer l’accord des autorités libanaises pour entamer des négociations directes avec Israël, et à accorder à l’armée libanaise des pouvoirs supplémentaires pour désarmer le Hezbollah, dans tout le Liban ». Cependant, Barrack, qui ne semblait pas apprécier sa collègue Ortagus, a réitéré ses propos sur les « vastes options d’Israël », mais a ajouté à l’intention de qui de droit qu’« il n’était pas logique que le Liban attende des États-Unis qu’ils empêchent Israël de faire ce qu’elle juge approprié pour protéger sa sécurité ».
Le point commun dans toutes ces étapes est qu’Israël n’est pas disposé à fournir la moindre garantie concernant l’arrêt de l’agression contre le Liban. Et il ne suppose pas que la simple négociation l’oblige à prendre des mesures opérationnelles. Bien que toutes les paroles des dirigeants de l’ennemi n’aient pas évoqué la négociation, de près ou de loin, Israël a informé les canaux de médiation qu’il attendait une déclaration officielle du Liban de sa volonté de négocier directement avec lui.
Ce qui a été proposé au Liban et à la Résistance n’est pas seulement une négociation directe, mais des concessions préalables et établies sans aucune garantie d’Israël d’arrêter l’agression.
Avec le temps, l’ennemi s’est empressé d’envoyer des éclaircissements via des délégués étrangers et régionaux, indiquant que « les négociations ne sont pas une condition suffisante pour fournir des garanties de sécurité, ou prendre des mesures de bonne foi ». Au contraire, les dirigeants de l’ennemi ont répété qu’ils « voulaient que le Liban prouve, pendant les négociations, qu’il dispose du mécanisme garantissant l’application de tout accord de sécurité. Et après avoir testé ce mécanisme, Israël passerait à l’examen de ce qu’il devrait faire ».
Mais le mot le plus important dans tout ce qui précède est qu’Israël a exigé des Américains qu’ils disent clairement au Liban, une dernière fois, que « la discussion ne porte pas sur la négociation de l’application de l’accord du 27 novembre 2024, ni sur la poursuite de l’application de la résolution 1701 ». Au lieu de cela, «la négociation portera sur un accord de sécurité complet, et que le Liban doit oublier l’accord de cessez-le-feu, et qu’il doit comprendre que la résolution 1701 n’est plus sur la table et qu’il ne s’agit que de quelques mois pour s’en débarrasser, en lançant un programme de démobilisation des forces des Nations Unies opérant au Liban ».
Débarquement égyptien
Dans ce contexte, le Liban recevait différents messages sur l’importance de tirer parti de la « porte ouverte après l’accord de Gaza ». C’était un murmure des Américains lors de certaines réunions. Mais, selon plus d’une source informée, Washington a discuté de la question avec l’Égypte. C’est le médiateur américain, Steve Witkoff, qui s’en est chargé, conseillant au Caire d’envoyer un représentant pour discuter avec la partie israélienne, puis de préparer une initiative d’origine égyptienne. En conséquence, le directeur des renseignements égyptiens, le général Hassan Rachad, s’est rendu à Tel Aviv pour rencontrer les dirigeants politiques, militaires et sécuritaires de l’ennemi. Il a compris que Washington s’intéressait à bien plus que la simple idée de « protéger l’accord de Gaza, et à ce que cela signifiait qu’il y ait un lien entre cet accord et le dossier libanais ».
Il ressort clairement des délibérations qu’il a rapportées lors de sa visite à Beyrouth et de ce qui a été dit en marge de la célébration égyptienne au Grand Musée, que Rachad a entendu en Israël des propos directs sur ce qu’ils considèrent comme une « menace existante ». Un haut responsable lui aurait dit clairement qu’Israël « ne considérait pas que le compte était réglé avec le Hezbollah, l’Iran, le Yémen ou même l’Irak ». L’homme en est ressorti avec des conclusions qui l’ont fait dire qu’Israël « semblait se préparer à un nouveau cycle de guerres, et pourrait prendre l’initiative de frapper ceux qu’il considère comme les bras de l’Iran, afin de pouvoir plus tard porter un coup fatal à l’Iran ». Il a ajouté qu’il « percevait parfaitement le lien qui existe fortement entre les fronts du Liban, de l’Irak, du Yémen, de l’Iran et aussi avec le Hamas ». Indépendamment du mécontentement certain de du responsable égyptien face à « l’arrogance manifeste dans les paroles et les actions des dirigeants en Israël », il est revenu discuter de la question avec la partie américaine avant que l’Égypte ne fasse un pas qui ne semble isolé de ce qui se passe.
Il est même difficile de croire que le Caire, qui se vante de voir son rôle regagner en importance à travers Gaza, cherche simplement à combler des lacunes existantes dans la région, n’étant pas disposé à les laisser à l’Arabie Saoudite, aux Émirats ou même à la Turquie. Mais le plus important est que le Caire se trouve aujourd’hui en bonne relation avec les Américains, ce qui lui permet une coordination fructueuse, notamment entre Rachad et Witkoff.
Lorsque Rachad est arrivé à Beyrouth, une série de réunions ont eu lieu en public, tandis que d’autres se sont tenues loin des médias. Le contenu peut se résumer comme suit :
Premièrement : Israël mène des activités sécuritaires et de renseignement pour porter un coup dur et douloureux au Hezbollah. L’idée d’assassiner de hauts dirigeants des ailes politique et militaire est à l’ordre du jour des agences de renseignement et de l’armée.
Deuxièmement : Israël se considère en position de supériorité, capable de mener une campagne aérienne qui briserait le dos du Hezbollah et de ses alliés au Liban, et de faire de même en Irak et contre les Houthis également.
Troisièmement : La stratégie adverse doit se baser sur le fait que Washington est prête à faire pression sur Israël (sur Benyamin Netanyahu en particulier), mais cela nécessite des mesures pratiques de la part du Liban, et que ces mesures doivent être coordonnées avec le Hezbollah.
Quatrièmement : Le Caire estime avoir réussi à empêcher le déplacement des habitants de Gaza, ne demande pas l’éradication du Hamas, et ne pense pas que l’écrasement du Hezbollah soit dans l’intérêt de la sécurité nationale arabe. Cependant, il croit que le Parti devrait envisager la situation d’une manière différente qu’auparavant.
Cinquièmement : Le Caire a trouvé une formule opérationnelle et convaincante pour les Américains, qui ne s’arrête pas à la déclaration par le Liban de son accord pour entamer des négociations directes ou indirectes. Il exige que le Hezbollah lui-même déclare des mesures, telles que l’initiative de remettre toutes ses armes dans la région au sud du Litani, et qu’il déclare un engagement clair à ne pas viser Israël. Dans ce cas, la discussion sur le sort de ses armes au nord du fleuve Litani serait gelée. Après cela, le climat serait propice au lancement des négociations visant à atteindre les objectifs principaux : un retrait israélien complet, la démarcation des frontières terrestres, la libération des prisonniers, puis l’ouverture de la porte à la reconstruction.
Hezbollah et l’Inconnu
De son côté, le Hezbollah n’a montré aucune réserve à exprimer sa position. Il a déclaré sans ambages que toutes les initiatives tournaient en rond pour obliger le Liban à renoncer à l’accord du 27 novembre, et que les Égyptiens, comme les Américains et les autres, n’avaient pas la capacité de convaincre Israël de la simple obtention d’une trêve, alors comment garantiraient-ils son respect d’un quelconque accord ? L’expérience de la Syrie était claire pour tous, et il n’y avait rien qui incite qui que ce soit à poursuivre une initiative. Bien sûr, le Hezbollah n’a pas eu besoin de dire à qui de droit que l’Amérique elle-même n’a pas garanti la sécurité du Qatar contre l’agression israélienne. En conséquence comment l’Amérique, l’Égypte ou d’autres garantiraient-ils le comportement de l’ennemi au Liban…
Concrètement, le Hezbollah a jugé qu’il lui était impératif de lancer une position claire et appropriée, d’une manière qui clarifie ce qui suit :
Premièrement : Le Parti est engagé par l’accord de cessez-le-feu, n’est pas en position offensive, et sait lire ce qui est écrit dans l’accord signé le 27 novembre. Par conséquent, il est futile de lui demander de déclarer des engagements pour satisfaire Israël.
Deuxièmement : Le Parti, qui a été partenaire dans la négociation sur la démarcation maritime, ne s’oppose pas à l’idée d’élargir le travail du « Mécanisme », mais il le veut dans un cadre qui ne pousse pas le Liban vers un accord de paix ou une normalisation avec Israël.
Troisièmement : La Résistance ne parle jamais de son travail et a pris la décision consciente de passer à la phase de « l’Inconnu ». Personne au sein du Hezbollah ne parle de l’aspect militaire, et le Parti n’est absolument pas responsable de tout ce qui est dit par ses partisans ou ses adversaires ; il est même gêné par beaucoup de ces propos.
Quatrièmement et le plus important : La Résistance a rappelé à tous qu’elle exercera son droit à l’action défensive, et c’est peut-être la source de la colère américano-saoudienne-israélienne qui s’est traduite jeudi par le lancement de la nouvelle phase d’escalade…
Par Ibrahim Al-Amine
Source : Traduit d’al-Akhbar ; vendredi 7 novembre 2025



