Avec ses lunettes rectangulaires, son flegme et ses chemises blanches boutonnées jusqu’au col, Ekrem Imamoglu, opposant au président turc Recep Tayyip Erdogan en passe d’arracher Istanbul à l’issue d’âpres élections locales, n’a pas franchement l’air d’un carnassier.
Mais en faisant la course en tête dans la capitale économique et démographique de la Turquie, il s’est imposé comme la nouvelle étoile montante d’une opposition jusqu’ici décrédibilisée par les défaites à répétition dans les urnes face à M. Erdogan.
D’après les autorités électorales, des résultats partiels créditent M. Imamoglu d’une avance d’environ 28.000 voix sur son adversaire, l’ex-Premier ministre Binali Yildirim, un poids lourd du parti au pouvoir, l’AKP.
Signe qu’il était persuadé de l’emporter tranquillement à Istanbul, M. Yildirim y a fait placarder aux petites heures du matin des affiches – depuis retirées – « remerciant » les habitants de l’avoir élu. Face à lui, le candidat commun des partis d’opposition CHP (social-démocrate) et Iyi (droite) a su tirer parti de son profil d’outsider.
Lors d’un entretien accordé à l’AFP le mois dernier en marge de sa campagne, M. Imamoglu a même soutenu que sa discrétion était un « avantage », ajoutant que la « société a depuis peu érigé un mur autour de ceux qui sont déjà connus en politique ».
Si son avance est confirmée par les résultats finaux, M. Imamoglu s’apprête donc à devenir, à l’âge de 49 ans, le maire de la ville la plus riche et la plus peuplée de Turquie, un poste qui ferait de lui l’un des opposants les plus en vue de M. Erdogan.
Ce dernier a d’ailleurs lancé sa carrière politique à l’échelle nationale en devenant maire de l’ancienne capitale ottomane, de 1994 à 1998.
Passionné de football, comme Erdogan
Confronté à des conditions de campagne inéquitables, avec notamment une couverture médiatique écrasante en faveur de M. Yildirim, M. Imamoglu a tout de même réussi à faire passer son message.
« Nous avons les réseaux sociaux qui sont pour l’instant laissés tranquilles » par le pouvoir, a-t-il dit à l’AFP pendant la campagne. « Mais ma principale arme sur le terrain, c’est la technique pluri-millénaire du bouche à oreille », a-t-il ajouté.
Né en 1970 à Trabzon (nord-est), sur les bords de la mer Noire, M. Imamoglu a étudié l’administration des affaires à l’Université d’Istanbul, avant de décrocher un Master en management, selon sa biographie officielle.
Il travaille pour l’entreprise de construction familiale avant de se lancer en politique il y a une dizaine d’années sous la bannière du CHP. En 2014, il est élu maire de Beylikdüzü, un district d’Istanbul.
M. Imamoglu partage avec le président Erdogan une passion pour le football, sport qu’il a pratiqué au niveau amateur avant d’intégrer la direction du club de sa ville natale, Trabzonspor.
« Le maire de tous »
Pendant la campagne, il s’est fait remarquer par son respect pour les électeurs affichant clairement leur préférence pour son opposant, un aspect qui détonne dans un paysage politique très fracturé.
« M. Imamoglu n’a pas fait campagne sur des bases idéologiques afin de s’adresser à tous les électeurs, s’abstenant de polariser l’électorat », souligne Berk Esen, professeur associé à l’université Bilkent, à Ankara.
Contrastant avec la rhétorique brutale de M. Erdogan pendant la campagne, M. Imamoglu a offert un visage plus rassembleur, promettant ainsi lundi, en revendiquant la victoire à Istanbul, qu’il serait « le maire de tous », y compris de ceux qui ont voté contre lui.
« Nous voulons commencer dès que possible à servir les Stambouliotes », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il était prêt à « coopérer avec toutes les institutions du pays pour répondre rapidement aux besoins d’Istanbul ».
Bien que les résultats du scrutin municipal ne soient pas encore officiels, il n’a pas perdu de temps en actualisant dès lundi sa biographie sur son compte Twitter où il se présente désormais ainsi : « Ekrem Imamoglu, maire de la municipalité métropolitaine d’Istanbul ».
Source: AFP