Malgré les nouveaux gestes réalisés par les militaires au pouvoir au Soudan, pour tenter d’apaiser la contestation, les manifestants maintiennent la pression. Ils craignent par dessus tout que leur révolution ne soit confisquée, surtout que des acteurs régionaux, en l’occurrence l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, et d’autres internationaux, dont les Etats-Unis, commencent à s’immiscer dans leurs affaires internes.
Après avoir réclamé le départ de leur président Omar al-Bachir, ils veulent maintenant la dissolution du Conseil militaire qui a été formé par les officiers qui l’ont renversé et l’instauration d’un pouvoir civil. Devant le QG de l’armée dans la capitale, des milliers de personnes sont toutefois toujours présentes mercredi 17 avril.
« Nous avons fait face aux gaz lacrymogènes, beaucoup d’entre nous ont été emprisonnés. On nous a tirés dessus et beaucoup ont été tués. Tout cela parce que nous avons dit ce qu’on voulait », a déclaré mercredi à l’AFP une manifestante, Fadia Khalaf.
Toujours selon l’AFP, les leaders du mouvement soulignent que la « révolution » n’a pas encore atteint ses objectifs. « Oui, nous avons renversé le dictateur, mais ses lois sont encore en place », a souligné dans un communiqué l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), qui regroupe plusieurs formations parties prenantes de la contestation.
« Il n’y a pas de raison de se réjouir maintenant (…). Nous n’en sommes pas à la victoire », ont ajouté les chefs de file de la contestation en demandant aux participants au sit-in de rester mobilisés.
Tentative de dispersion
Le climat avec l’armée s’est tendu parallèlement au durcissement des revendications des contestataires en faveur d’un gouvernement civil.
Lundi, l’Association des professionnels soudanais (SPA), fer de lance du mouvement et membre de l’ALC, a dénoncé une tentative de dispersion du sit-in, sans toutefois en identifier les auteurs.
Mardi, des témoins ont fait état de véhicules avec des paramilitaires déployés sur un pont reliant Khartoum à la zone du sit-in.
« On a peur qu’on nous vole notre révolution, c’est pourquoi nous restons sur place, et nous ne partirons pas avant d’obtenir satisfaction à nos demandes », a ajouté la manifestante interrogée par l’AFP, Fadia Khalaf.
Conseil civil avec des militaires
Lundi, la SPA a exigé que le Conseil militaire soit dissout et remplacé par un conseil civil, comprenant aussi des représentants de l’armée. Elle en a fait une condition à une éventuelle participation à un futur gouvernement de transition.
Et les manifestants semblaient déterminés mercredi à rester devant le QG de l’armée, en dépit de la chaleur brûlante.
« Nous en souffrons, mais quand je pense à ceux qui ont été tués dans la contestation, cela me donne de l’énergie pour continuer », a expliqué Ossama Hussein, s’affairant à nettoyer autour de lui.
La contestation qui se poursuit depuis décembre a fait au moins 65 morts selon un bilan officiel.
Une femme servant le thé a affirmé être venue à quatre reprises ces derniers jours: « je sens que ces personnes qui observent le sit-in sont comme mes enfants. J’ai souffert sous le régime (…) Cette révolution est pour moi ».
Samedi, le général Abdel Fattah Buhrane a promis « d’éliminer les racines » du régime d’Omar el-Béchir. Le Conseil militaire qu’il dirige compte toutefois parmi ses dix membres des piliers du régime sortant. Pour calmer la rue, il a transféré en prison le président déchu et limogé le Procureur général, une des exigences des manifestants .
Ou Conseil militaire avec des civils
Pour leur part, les Etats-Unis veulent le contraire des revendications des manifestants. Un responsable du Département d’Etat ayant fait état de discussions avec Khartoum a souligné que Washington avait poussé le Conseil militaire à « agir rapidement » pour inclure des civils dans un gouvernement provisoire et organiser des élections. Pour influer sur les positions des soudanais, ils ont fait planer l’éventualité de retirer le Soudan de leur liste des pays accusés de soutenir le « terrorisme » si le Conseil militaire engageait un « changement fondamental » de gouvernance.
Ingérence aussi de la part de l’Arabie saoudite et des EAU qui affichent des positions plus franches et soutiennent les militaires soudanais. Le mardi 16 avril, le roi Salmane a accueilli le prince héritier d’Abou Dhabi, ont annoncé les médias saoudiens, pour se concerter sur les évènements soudanais entre autre. Le Soudan est d’une grande importance stratégique pour ces deux puissances du Golfe.
Ultimatum de l’Union africaine
Concernant le sort d’Omar el-Béchir, visé par des mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » puis pour « génocide » au Darfour, le pouvoir militaire a d’abord affirmé qu’il refuserait de l’extrader.
Lundi, par la voix du général Jalaluddine Cheikh, il a néanmoins indiqué que la décision serait « prise par un gouvernement populaire élu et non par le Conseil militaire ».
Sur le plan diplomatique, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a nommé mardi un émissaire pour le Soudan, l’avocat sud-africain Nicholas Haysom, afin d’aider l’Union africaine (UA) à conduire une médiation.
L’UA a menacé lundi de suspendre le Soudan si l’armée ne quittait pas le pouvoir au profit d’une « autorité politique civile » d’ici 15 jours.
La cheffe de la diplomatie de l’UE Federica Mogherini a dit espérer que la transition porterait au pouvoir « un gouvernement civil ». Londres a apporté son soutien « à l’appel de l’UA ».