C’est une véritable course contre la mort que Mohamad Kazane, le jeune journaliste d’al-Manar a vécue pendant les 33 jours de guerre israélienne contre le Liban en 2006.
Il s’était rendu au sud du Liban le deuxième jour de l’offensive. Tout seul avec le cameraman. Et directement après la conférence de presse du sécrétaire général du Hezbollah sayed Hassan Nasrallah donnée le premier jour, dans laquelle il a revendiqué l’opération al-Waed al-Sadek et l’enlèvement de deux soldats israéliens. Réclamant la libération des détenus libanais dans les prisons israéliennes.
Partout où Mohamad s’est rendu, la mort était au rendez-vous. Les raids aériens israéliens détruisaient tout sur son chemin. Devant ses yeux.
Seule la destruction du pont de Damour, passage incontournable de l’autoroute internationale du Sud-Liban avait été perpétrée en son absence. Le premier jour de la guerre.
Il raconte avoir dû emprunter des voies secondaires, plus tortueuses et plus longues pour se rendre dans la région de Nabatiyeh, sa destination finale.
Là-bas, il s’est trouvé seul avec son cameraman. Les autres journalistes étant partis vers Tyr et Naqoura en raison de la dangerosité de la situation.
Sa première rencontre avec la mort, il l’a vécue à Saïda, première ville du sud-Liban. À peine arrivé, les F-16 israéliens ont détruit un pont, Sinik, à quelques mètres de lui. La force de frappe était si violente qu’il a été projeté au volant de sa voiture plusieurs dizaines de mètres. Il a échappé belle. Mais pas les Bédouins qui vivaient non loin du pont. Il en a transporté plusieurs vers un hôpital de la ville. Avant de continuer son chemin.
Arrivé à Ghaziyeh, un autre pont a été détruit devant ses yeux. Des milliers d’éclats de verre se sont fracassés sur sa voiture. Là aussi, il a échappé de justesse.
Et il en a été ainsi durant sa couverture des bombardements meurtriers contre la ville et ses environs. La mort le frôlait tout le temps. L’épargnant tout de même. Mais raflant toutefois dans son chemin les âmes et les corps de centaines d’habitants.
Chaque fois qu’il dormait quelque part, dans un garage, sous un arbre, ou dans une maison abandonnée par ses propriétaires, il était quasiment réduit en miettes quelques minutes après son départ. Même lorsque Mohamad s’est rendu vers un ruisseau pour s’y rassasier, celui-ci a été bombardé.
C’est comme si les avions israéliens le traquaient à lui seul.
Ainsi, devant ses yeux, ces avions ont détruit des villages entiers: Yahmor, Zotar al-Garbiyyah, Kfarsir, Kfartibnit, Zibdine,Choukine,Ghassaniyeh, Ansar… Semant pernicieusement la mort sur leurs chemins. Délibérément, les bombardements étaient doubles. Un premier raid était suivi quelques minutes plus tard par un second, lorsque les équipes de secours et de défense civile accouraient pour venir en aide aux victimes. Bien entendu leur chiffre en était du coup doublé.
Partout, un paysage de désolation se présentait devant les yeux de Mohamad. Avec toutes les scènes de sang et de larmes qui l’accompagnaient. C’est comme si, là où il se présentait, il apportait avec lui la mort et la destruction.
Il était au bord du désespoir. Si ce n’est les images de vie et de persévérance livrées par le gens qui ont refusé de partir. Des cultivateurs de tabac qui ont continué à exploiter leurs terres. Sans accorder aucune importance aux avions de chasse israéliens dans le ciel. Un berger qui a continué à faire paitre son troupeau. L’engouffrant dans une éclaircie recluse, narguant les raids israéliens. Un paysan qui après avoir fait quand même la cueillette des fruits et légumes, les a transportés dans sa camionnette. Se frayant un chemin parmi les bombes israéliennes.
C’était comme un appel pour la vie au cœur de la mort.
“Je ne savais pas ou alors je ne croyais pas ce qui se passait. Nous étions seuls, le cameraman et moi à nous trimballer dans la ville de Nabatiyeh et ses 40 villages alentours. Il n’y avait plus personne. La mort nous guettait partout. Et pourtant, elle n’a pu avoir raison de nous”, se rappelle Mohammad.
Cette force de vie dans sa forme la plus époustouflante, il l’a ressentie intensément avec les bombes à fragmentation que les Israéliens avaient larguées sur les routes du sud, les derniers jours de la guerre, pour empêcher les gens de revenir vers leurs villages.
Il en avait ramassé quelques-unes pour les montrer devant la caméra d’Al-Manar. Puis il les a gardées dans sa voiture. Jusqu’au jour où il a décidé de les offrir à un combattant de la Résistance. Et à sa grande surprise, ce dernier lui a assuré qu’elles n’avaient pas encore explosé, et qu’elles auraient pu le faire à tout moment. Surtout que l’une d’entre elles était sans détonateur. L’ampleur de sa déflagration a été énorme lorsque le résistant l’a fait exploser.
“ Nous étions terrifiés par sa puissance d’explosion. Nos sentiments étaient confus. Sur nos traits s’étaient dessiné aussi bien la surprise que la joie et la peur. Parce que nous avions ces bombes avec nous tout le temps dans la voiture, entre les caméras. Nous pensions qu’elles étaient usées”, raconte Mohamad. Perplexe encore.
Depuis cet incident, rien n’était plus comme avant pour ce jeune journaliste. Plus que jamais il se sentait baignant dans une grande quiétude. Il ne savait pas d’où elle venait. D’autant que la menace persistait encore plus fort. Les drones de reconnaissance israéliens volaient sans cesse au-dessus de sa tête et les bombes israéliennes tombaient toujours plus proches de lui.
Impassible, il transmettait désormais ses messages télévisés en direct. Au milieu des bombardements… Bloqués dans la région et ne pouvant plus se déplacer, il cherchait ses informations auprès des équipes de secours, des hôpitaux et des habitants. Et puis, il faisait un peu de tout pour se rendre utile. Débrouiller un médicament à une vieille dame, faire fuir un villageois vers un endroit sûr auquel il pouvait accéder…
Son dernier rendez-vous avec la mort, c’était,- ironie du sort-, au cimetière de son village natal. Taybé. A la fin de la guerre. Il s’y était rendu pour visiter la tombe d’une tante qui avait trépassé quelques jours avant son déclenchement. Elle était littéralement arrachée par les obus israéliens. Dans cette guerre, mêmes les morts n’ont pas été épargnés.
Les soldats israéliens qui n’avaient pas encore quitté le Liban se trouvaient à une centaine de mètres de lui. L’ayant vu, ils ont tourné leur mitrailleuse MAG en sa direction, la mettant en posture de tirs.
« Pensaient-ils que je voulais sortir des armes de la sépulture ? Je ne sais pas. Cela ne m’a fait ni chaud ni froid. Je me suis penché pour restaurer la tombe. Puis je suis reparti », dit-il.
C’était comme si Mohamad était sûr et certain qu’ils n’allaient pas lui tirer dessus.
Entre le pont de Saïda et le cimetière de Taybé, après tout ce qu’il avait vu, tout ce qu’il avait senti, non seulement il n’avait plus peur de la mort, mais quelque chose en lui, lui disait que cette mort israélienne ne pouvait plus rien contre lui.