Longtemps marginalisés en Syrie, les Kurdes pensaient prendre leur revanche en créant une région autonome prospère à la faveur de la guerre mais ce rêve s’est estompé, leur proto-Etat devenant une île étranglée économiquement.
Devenus incontournables pour Washington dans la lutte antijihadiste, les forces kurdes ont conquis de nouveaux territoires dans la foulée du conflit, proclamant en mars une région fédérale auto-administrée dans le nord syrien.
Mais elles se sont attirées l’inimitié des forces en présence, en plus de l’hostilité de la Turquie voisine et leur région riche en pétrole et considérée comme le « grenier à blé » de la Syrie, s’est retrouvée souvent coupée du monde, manquant de produits de première nécessité et dépendant de l’aide de l’ONU.
Dans sa pharmacie de Qamichli, province de Hassaké (nord-est), Moustafa Ebdi est affligé. « La majorité des médicaments manque », confie-t-il à l’AFP, alors que des clients en cherchent désespérément sur les étagères presque vides.
« Nos pharmacies sont vides. Nous n’avons pas d’anesthésiques pour les opérations chirurgicales ou de médicaments contre le diabète », ajoute-t-il.
« La situation économique est mauvaise car les régions kurdes sont encerclées, au sud par les jihadistes du groupe Etat islamique (EI) et au nord par la Turquie », bête noire des Kurdes, note l’expert de la Syrie Fabrice Balanche.
Prix en flèche
A l’est se trouve l’inconstant point de passage de Simalka, vers la région semi-autonome du Kurdistan en Irak voisin, que les dirigeants « ferment à leur gré », note le géographe français.
Car si les dirigeants kurdes partagent en principe le même idéal -un Etat indépendant-, les relations sont tendues entre le Parti démocratique du Kurdistan irakien (PDK) de Massoud Barzani et le Parti de l’Union démocratique (PYD) en Syrie.
M. Barzani entretient des liens étroits avec la Turquie, qui considère le PYD comme « terroriste » et a dénoncé l’annonce d’une région semi-autonome kurde en Syrie dont l’objectif est de réunir les trois cantons d’Afrine, Kobané et Jaziré. Ce dernier correspond à la province de Hassaké.
Résultat: Simalka, la seule route commerciale reliant le réduit kurde vers l’extérieur, est souvent fermée.
En faction sous un soleil de plomb au point de passage, Siyamand Usman, un responsable du barrage côté syrien, parle d’une baisse depuis mars de 90% des produits entrant de Turquie dans les régions kurdes.
« Nous avons été surpris de la fermeture de Simalka après l’annonce de la région fédérale » par les Kurdes syriens en mars, dit-il à l’AFP. Souvent, les Kurdes irakiens « laissent la marchandise plusieurs jours au soleil et nous devons payer d’importantes sommes pour être sûrs qu’elle va pouvoir entrer ».
Pour les habitants de la région semi-autonome kurde syrienne, cela se traduit par une situation économique pénible.
Le prix du kg de sucre a quadruplé en cinq mois passant de 175 livres syriennes à 800 LS (1,60 USD) et le prix du kg de farine a quintuplé passant de 25 LS à 125 LS (0,25 USD).
Pénuries
Au marché de Qamichli, Mohannad al-Jarba se plaint des marchands qui profitent de la pénurie pour faire exploser les prix. « Nous sommes tributaires de la conscience du commerçant ».
Et la fermeture du passage a exacerbé le problème de l’appauvrissement ces dernières années des terres fertiles.
Les Kurdes, qui représentent 15% de la population syrienne, ont évité de choisir entre les pouvoir et les rebelles dans le conflit déclenché en 2011.
Depuis 2014 et après que le conflit s’est complexifié avec l’implication de parties internationales et régionales et la montée en puissance des jihadistes, la branche armée du PYD est devenue l’une des principales forces combattant l’EI avec l’appui aérien de la coalition internationale conduite par les États-Unis.
Face à la crise économique, l’ONU a créé un pont aérien vers Qamichli début juillet pour larguer de la nourriture à 300.000 habitants nécessiteux dans la région.
Le premier envoi comprenait 40 tonnes de nourriture, dont du riz, du sel, du sucre mais pour les responsables kurdes il s’agit d’un simple dépannage.
« Nous souffrons de pénuries de fruits et de légumes, et nous sommes dans l’incapacité d’importer ou d’exporter », note Badrane Jiya Kurd, de l’administration kurde.
« Les forces qui soutiennent militairement Rojava (Kurdistan syrien) ne l’appuient pas économiquement », regrette-t-il, en allusion aux Américains.
« C’est de l’aide temporaire, mais ce n’est pas une solution ».
Source: AFP