«La question kurde» représente l’un des dossiers les plus complexes de la guerre syrienne. Ce dossier a connu ces dernières années de nombreux développements qui l’ont placé en tête de tous les autres dossiers. Il devrait être décisif dans les jours qui viennent, pour toute la scène syrienne, avec des détails qui mettent en jeu l’unité du pays.
Les Unités de protection du peuple kurde (YPG) se sont imposées comme acteur influent sur la scène syrienne. A elles seules d’abord, puis à travers la couverture qui leur a fourni le groupe des Forces démocratiques syriennes (FDS) sachant que le parti de l’Union démocratique PYD, dirigé par Saleh Muslim est l’un des partis kurdes les plus présents sur la scène syrienne. Il n’est pas le seul car il y a de l’autre versant, celui de l’opposition, le Conseil national kurde, qui est représenté au sein de coalition d’opposition, par Abdel-Hakim Bashar, lequel est soutenu par la région du Kurdistan d’Irak.
Ce dossier est passé par plusieurs étapes depuis 2011 jusqu’à aujourd’hui. Il suffit de comparer l’image au nord et au nord-est d’aujourd’hui avec celle d’il ya six ans, pour percevoir les énormes changements subis.
La relation entre les Kurdes de Syrie et Damas ont connu depuis 2012 un certain nombre de retournements de situation. Cette année-là, des partis kurdes avaient recu en privé de Damas la responsabilité de la gestion de certains domaines.
L’aspect le plus ironique dans le processus de ces «unités» et de leurs relations, c’est qu’elles ont au début reçu le soutien militaire des autorités syriennes, avant de finir par devenir en fin de compte, en tant que composante principale des FDS, l’allié des Américains, voire et le bras terrestre de la Coalition internationale.
A noter qu’il y a un grand clivage entre les performances militaires des forces kurdes en Syrie, et leur comportement politique.
Alors que la première a été caractérisée par la stabilité, affichant des indicateurs de montée en puissance sur le terrain, le deuxième s’est marquée par une confusion et une incohérence frappantes, tant dans ses relations avec Damas qu’avec des acteurs influents régionaux et internationaux en Syrie, en particulier avec Ankara.
Les Kurdes ne peuvent seuls être tenus pour responsables de cette incohérence, car elle est le plus souvent due aux changements intervenus dans la guerre syrienne et à l’enchevêtrement des ficelles du jeu, ainsi qu’aux mutations de l’intérieur turc et des politiques d’Erdogan.
Alors que le Conseil a gardé de relations harmonieuses avec les Turcs, la relation entre ces derniers et l’Union démocratique a connu un changement radical. Par exemple, Saleh Muslim qui était en visite en Turquie à la fin de Juillet 2013 avait déclaré, après avoir rencontré ses représentants qu’Ankara n’était pas préoccupé par la présence kurde à la frontière». Alors qu’ils avaient à la fin de 2011 émis un mandat d’arrêt contre lui.
Bien que les changements des relations n’a rien de nouveau dans le monde de la politique, mais le problème kurde le plus important à ce niveau est qu’ils ont accepté de jouer le rôle d’outil dans leurs alliances qui semblent dans leur majeure partie conclue sous la pression frénétique de la volonté d’investir l’opportunité historique qui se présente, et non pas sur la base de stratégie politique aux contours biens claires.
En général, la question kurde a acquis lors de la seconde moitié de la guerre syrienne un caractère proprement militaire, au niveau de la vie interne et l’on ne peut dire que ces zones connaissent une vie politique, ni même une activité politique libre…
Bien que quelque prémisse de changements s’était manifestée avec la formation des FDS qui ont attiré d’autres composantes que les Kurdes, et créé le Conseil de la démocratie en Syrie, supposé être la vitrine politique, mais de nombreux Kurdes s’accordent à considérer que ce Conseil est formé d’une seule couleur.
Cela peut sembler naturel que les FDS en tant qu’entité militaire qui a hérité des «unités» dominent la face.
Depuis l’année 2015, elles ont traversé un grand nombre d’évènements marquants, à commencer par la défaite de Daesh, dans la bataille de Ain Arab (Kobané) en Janvier, ce qui a ouvert ultérieurement la voie à la relation entre les Kurdes et les Etats-Unis.
Pour que s’ensuivent par la suite, en cascade, les exploits militaires, dont le plus important a été en Août 2015 celui de la prise de Tal Abyad , dans la province nord de Raqqa, jusqu’à la formation des FDS le mois d’octobre qui s’ensuivit.
L’année suivante (2016), les FDS ont pris le contrôle de plusieurs zones situées à l’ouest de l’Euphrate, notamment Tal Refaat. A partir de là, sont tournés au rouge les indicateurs de danger chez Ankara, avant d’atteindre leur apogée, à la première moitié d’Août avec le contrôle de Manbej.
Les FDS étaient alors en train de réfléchir sérieusement à l’annonce d’une «nouvelle province» sous le nom d’Al-Chahba , pour être le lien entre la province de Afrine et celle d’Al-Jazirat et Aïn Arab (Kobané), à l’est de l’Euphrate.
Mais l’armée turque n’a pas tardé à entrer directement dans la guerre, dans le cadre de son offensive Bouclier de l’Euphrate, le 24 Août, occupant les zones séparant Manbej d’al-Chahba, directement.
Cette évolution explique une grande partie de la complexité du nord et ses ententes occultes. A savoir que l’entrée en action de la Turquie s’était faite en coordination avec Moscou et Washington, et avec le silence de Damas, au début.
Le mois de novembre suivant, les FDS ont annoncé le lancement de la bataille pour libérer Raqqa, mais la vraie fête est celle qui a eu lieu avec l’avènement de la nouvelle administration américaine.
En Février 2017, Bouclier Euphrate s’emparait de la ville d’Al-Bab aux confins avec Manbej, avant que l’armée syrienne n’entre dans cette zone intermédiaire, à l’issu d’un accord précipité avec les FDS via Moscou.
Les FDS ont également amené des forces américaines à Manbej, dans le but de faire baisser l’éventualité d’une attaque de la part de Bouclier de l’Euphrate. De la sorte, elles ont opéré un bouleversement dans le tiraillement turco-kurde en direction de la bataille de Raqqa. En même temps, des troupes russes entraient dans la région de Afrine.
Alors que les FDS œuvraient pour réunir les contradictions dans ses alliances, dans une approche qui semble vouloir se préparer à toutes les surprises.
Finalement est intervenue l’évolution de la descente des Américains à proximité de Tabaqa pour préparer ce qui semble être la forme finale de la bataille de Raqqa : les FDS et la Coalition, seuls sur le terrain.
Et les FDS ont affiché vouloir libérer Deir Ezzor de Daesh, via un conseil militaire de Deir Ezzor, annonçant vouloir augmenter le nombre de ses troupes à cent mille combattants d’ici la fin de l’année.
On ne sait pas encore quelles sont les conséquences que cette étape laissera sur la relation entre Damas et les FDS quoique ces derniers aient toujours souligné ne pas avoir l’intention d’entrer en conflit avec le régime, et vouloir dépendre en fin de compte sur une solution politique. Tout en se disant désireux de préserver des liens étroits avec Moscou, elles ne cessent de confirmer avoir pleinement confiance dans leur alliance avec les Américains.
En accueillant des bases américaines et des forces spéciales de différentes nationalités, il semble que les FDS constituent le meilleur pari pour ceux qui optent pour imposer le fédéralisme comme statu quo, en fin de compte.
Par Sahib Anjarini
Traduit par notre rédaction du journal Al-Akhbar