Le plus étonnant dans les nouvelles sanctions contre la Russie, ce n’est pas l’adoption de la loi en question par le Congrès américain – c’est que le Congrès US estime que le monde entier doit appliquer ses lois.
Par exemple, la Finlande, dont les autorités ont déclaré à Poutine que les sanctions antirusses n’étaient pas avantageuses pour leur pays.
C’était à la veille de l’annonce des mesures de rétorsion russes.
«En ce qui concerne la transfrontalité de la législation américaine, j’en parle depuis longtemps, depuis 2007. J’en ai parlé à Munich, je crois. C’est exactement ce que je disais. Et cette pratique, elle est inadmissible, elle détruit les relations internationales et le droit international. Nous n’étions jamais d’accord et ne seront jamais d’accord avec ça. Mais nous adoptons un comportement très retenu et patient. Mais à un moment donné nous devrons réagir. Il est impossible de tolérer incessamment la grossièreté envers notre pays», a déclaré Vladimir Poutine.
En l’occurrence la grossièreté ne concerne pas tant la rhétorique américaine que le chapitre 257 de l’acte de sanctions intitulé «La sécurité énergétique de l’Ukraine». Ce chapitre ordonne à la Maison blanche de «s’opposer au gazoduc Nord Stream 2» compte tenu de son «impact néfaste sur la sécurité énergétique de l’Union européenne, le développement gazier du marché en Europe centrale et de l’Est et les réformes énergétiques en Ukraine».
En d’autres termes, il est question d’opposition aux projets, y compris Turkish Stream, auxquels avec Gazprom participent les plus grandes compagnies énergétiques allemandes, néerlandaises et françaises. Il est évident que les Américains le font dans leur propre intérêt. Mais quel est le plan?
«Seule la construction de Nord Stream 2 peut entraîner une division par six des exportations. Dans ce cas le transit des hydrocarbures via l’Ukraine serait inutile. Le transit serait présent, mais en très faibles quantités, par exemple, pour approvisionner les territoires au sud de l’UE. Et après la construction de Nord Stream 2 et de Turkish Stream il ne serait plus utile du tout. Plusieurs représentants républicains, McCain y compris, insistaient sur ce point», a noté Dmitri Abzalov, président du Centre des communications stratégiques.
Autrement dit, il faut éliminer ou affaiblir les concurrents afin de maintenir l’absence d’alternative au système de transport de gaz de l’Ukraine. Je répète, ils ne le font pas pour Kiev, mais pour prendre le contrôle de son système de transport.
Conformément au troisième paquet énergie de l’UE, le système de transport de gaz ukrainien sera morcelé et privatisé. De préférence par les Américains qui, en s’emparant du gazoduc, en tireront un maximum de profit. C’est-à-dire que la Crimée, les élections américaines, les hackers, la Syrie et le reste n’y ont rien à voir. Il s’agit bien du rêve américain de longue date qui a gâché la vie à plus d’un politicien européen.
La première tentative de mettre en place un gazoduc transcontinental qui réunirait les gisements gaziers russes avec l’Europe date de 1960. L’Union soviétique avait besoin de tubes de gros diamètre que le gouvernement allemand d’Adenauer avait d’abord accepté de fournir, puis a refusé sous la pression des Etats-Unis.
Au final, l’industrie allemande a essuyé des pertes pour 200 millions de marks, alors que la coalition CDU/CDS au pouvoir a perdu le soutien des plus grandes compagnies allemandes. Le gouvernement de Willy Brandt était confronté à une pression tout aussi puissante de Washington. Les arguments étaient absurdes: soi-disant en cas de guerre les Russes ravitailleraient leurs chars en pleine Europe directement à partir des gazoducs.
Mais malgré l’influence des USA, entre 1970 et à ce jour la longueur du système de transport de gaz a augmenté de 11.500 à 37.100 km. Alors pourquoi ne pas mettre la main sur tout ça?
Tous les récalcitrants seront punis compte tenu de la transfrontalité des lois américaines. Poutine en a parlé également. Washington croit que ses directives nationales s’appliquent dans le monde entier. Les USA ne veulent pas savoir que Nord Stream 2 règle la majeure partie des problèmes énergétiques de l’UE. Ils ne veulent pas savoir que l’Ukraine n’investit pas dans son système de transport de gaz et que son état est déplorable.
Encore à l’époque de Leonid Koutchma, la Russie, l’Allemagne et l’Ukraine étaient pratiquement convenus de moderniser ensemble le gazoduc. Mais Viktor Iouchtchenko y a renoncé par la suite. Et aujourd’hui, la réparation du réseau gazier ukrainien coûterait pratiquement autant que la construction de Nord Stream 2 dont le coût du transport de gaz est plus bas.
La priorité pour Washington en l’occurrence consiste à s’assurer par la force les avantages concurrentiels, forcer à remplir en gaz le gazoduc ukrainien et dicter les règles. Par ailleurs, les Américains proposent une alternative à ceux qui ne souhaitent pas le gaz du gazoduc: il est possible d’acheter le gaz liquéfié américain.
«Si l’Europe consommait le gaz liquéfié américain cher, alors son industrie ne serait pas compétitive avec l’américaine dans la même mesure qu’aujourd’hui grâce au gaz russe relativement bon marché. C’est un élément de guerre économique», a noté Valeri Iazev, directeur de l’Institut d’administration dans l’industrie, l’énergie et la construction auprès de l’Université d’Etat d’administration.
Source: Sputnik