Devant l’afflux vertigineux des dons pour reconstruire Notre-Dame, des voix dénoncent une générosité sélective, dans une France secouée depuis des mois par la crise des « gilets jaunes », et où les dons aux plus démunis sont en baisse.
« S’ils sont capables de donner des dizaines de millions pour reconstruire Notre-Dame, qu’ils arrêtent de nous dire qu’il n’y a pas d’argent pour satisfaire l’urgence sociale », a ainsi dénoncé Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, l’un des principaux syndicats français.
De grandes fortunes et des groupes se sont précipités au chevet de Notre-Dame depuis lundi: la famille Pinault a promis 100 millions d’euros, suivie par le groupe LVMH et la famille Arnault, première fortune de France, qui ont annoncé un don de 200 millions, puis la famille Bettencourt-Meyers et le groupe L’Oréal (200 millions). Total a annoncé 100 millions.
Ingrid Levavasseur, une des figures des « gilets jaunes », acteurs d’une crise sociale inédite en France depuis novembre, a souhaité « qu’on revienne à la réalité » et dénoncé « l’inertie des grands groupes face à la misère sociale, alors qu’ils prouvent leur capacité à mobiliser en une seule nuit +un pognon de dingue+ pour Notre-Dame ».
L’expression familière +on dépense un pognon de dingue+ avait été utilisée par le président Macron à propos des aides sociales, suscitant de vives critiques.
Les gilets jaunes manifestent depuis des mois dans la rue, au départ pour protester contre des taxes, mais leur colère s’est transformée en une myriade de revendications, institutionnelles, sociétales, sociales. Le jour où l’incendie de Notre-Dame s’est déclaré, Emmanuel Macron devait faire une série d’annonces pour répondre à cette crise. Cette allocution a été reportée sine die.
« Course à l’échalote »
« Que l’oligarchie donne pour Notre-Dame, c’est bien. L’exemplarité fiscale serait encore mieux. La bonne conscience ne cache pas la misère et l’austérité », a dénoncé sur Twitter Benjamin Cauchy, autre « gilet jaune ».
De fait, la générosité des donateurs est en partie payée par de l’argent public, car une loi de 2003 prévoit que les entreprises qui investissent dans la culture peuvent déduire 60% de leurs dépenses en faveur du mécénat.
Pour éteindre les critiques, le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé mercredi une déduction de 75% jusqu’à 1.000 euros (66% au-delà) pour les dons des particuliers en faveur de la reconstruction.
Et devant la polémique montante, François-Henri Pinault, patron du groupe de luxe Kering, a décidé de renoncer à cet avantage fiscal.
De nombreuses voix soulignent aussi que l’élan de générosité pour Notre-Dame intervient à un moment où les associations de lutte contre la pauvreté font face à une baisse des dons.
Sur Twitter, l’essayiste catholique Erwan Le Morhedec a appelé ceux qui jugeraient leur don « dérisoire » face au ruissellement d’argent des entreprises sur la cathédrale à « le convertir au profit des associations qui soignent les +temples vivants+ et dont les dons se sont, eux, écroulés ».
La sénatrice écologiste Esther Benbassa a également tweeté en rêvant d' »un élan aussi spontané et massif en faveur des associations et structures prenant en charge l’extrême pauvreté, l’exclusion sociale, les sans-abri ».
« 400 millions pour Notre-Dame, merci Kering, Total et LVMH pour votre générosité: nous sommes très attachés au lieu des funérailles de l’abbé Pierre », a twitté la Fondation Abbé Pierre. « Mais nous sommes également très attachés à son combat. Si vous pouviez abonder 1% pour les démunis, nous serions comblés ».
Pour la première fois depuis une dizaine d’années, les dons aux associations ont baissé en 2018 de 4,2%, selon une enquête de France Générosité auprès d’un panel de 22 organisations caritatives. Une baisse imputée en grande partie par les ONG à la hausse d’une contribution sociale ayant fortement touché les retraités, traditionnellement généreux, ainsi qu’à la suppression de l’impôt sur la fortune, car les assujettis donnaient volontiers pour réduire leur facture fiscale.
La suppression de l’ISF est une des mesures les plus controversées du président Macron.
Source: AFP