La question des États-Unis qui mènent ce qui semble être une guerre mondiale par le biais de sanctions fait rarement surface dans les médias occidentaux. L’argument avancé par la Maison-Blanche est que les sanctions peuvent exercer une pression maximale sur un régime voyou sans qu’il soit nécessaire d’aller en guerre et de tuer des gens, mais la réalité est que si la guerre économique peut sembler plus anodine que les bombardements et les tirs, des milliers de personnes meurent quand même de faim ou de ne pas pouvoir se procurer des médicaments. Il est souvent noté que 500 000 enfants iraquiens sont morts dans les années 1990 en raison des sanctions imposées par la Maison-Blanche de Bill Clinton et les estimations actuelles de décès en Syrie, en Iran et au Venezuela s’élèvent à des dizaines de milliers.
Et pendant ce temps, les régimes qui sont assiégés par des sanctions ne capitulent pas devant les exigences étasuniennes, même lorsqu’ils ressentent une douleur considérable. Cuba est sanctionné par Washington depuis 1960 et rien n’a été accompli, si ce n’est de fournir une excuse au régime de renforcer son contrôle sur le peuple. En fait, on pourrait soutenir que le libre-échange et les déplacements auraient probablement permis de « démocratiser » Cuba beaucoup plus rapidement que les menaces associées à une politique d’isolement économique et politique.
Outre leur inefficacité, le côté obscur des sanctions, c’est ce qu’elles font aux tiers qui sont pris dans le conflit. L’interdiction totale récemment imposée par les États-Unis aux exportations pétrolières iraniennes s’accompagne de sanctions secondaires qui peuvent être imposées à tout pays qui achète le pétrole, aliénant les quelques amis de Washington qui restent et suscitant une inquiétude universelle quant aux intentions à long terme des États-Unis. En effet, les États-Unis étaient un pays qui, avant la « guerre mondiale contre le terrorisme », était généralement apprécié et respecté, mais aujourd’hui il est largement considéré comme la menace la plus dangereuse pour la paix dans le monde. Ce changement de perception est dû aux guerres réelles que les États-Unis ont déclenchées ainsi qu’au régime de sanctions qui a pour objectif de changer les gouvernements qu’ils désapprouvent.
Un autre aspect des sanctions qui est quelque peu invisible est l’impact que l’action du gouvernement a eu sur ce qui est considéré comme les droits constitutionnels des citoyens US. Max Blumenthal a écrit un article intéressant sur une application récente de sanctions qui a touché un groupe de citoyens qui cherchaient à assister à une conférence à Beyrouth au Liban.
Blumenthal décrit la tentative de criminaliser toute participation à une conférence parrainée par l’ONG iranienne New Horizon comme une « escalade significative dans la stratégie de pression maximale de l’administration Trump pour amener un changement de régime en Iran ». Un certain nombre d’Étasuniens qui avaient l’intention de prendre la parole ou de participer à la conférence ont été approchés à l’avance par des agents du FBI, agissant manifestement sous les ordres de Sigal Mandelker, sous-secrétaire au Trésor pour le terrorisme et le renseignement financier. Les agents ont averti que tout participant à la conférence pourrait faire l’objet d’une arrestation à son retour aux États-Unis parce que New Horizon faisait l’objet de sanctions. L’un de ceux qui ont été approchés par le Bureau a expliqué :
« Ils interprètent les règlements en disant que même si vous vous associez à quelqu’un qui a été sanctionné, vous êtes passible d’amendes et d’emprisonnement. Je n’ai rien vu dans le règlement qui permette cela, mais la barre est si basse que n’importe qui peut être désigné« .
La conférence Nouveaux horizons est un événement annuel organisé par l’animateur de télévision et cinéaste iranien Nader Talebzadeh et son épouse, Zeina Mehanna. New Horizon a fait l’objet de sanctions financières plus tôt cette année par le Bureau du contrôle des avoirs étrangers (OFAC) du Département du Trésor.
L’intérêt du gouvernement US pour les conférences New Horizon semble avoir commencé en 2014, après que la Ligue antidiffamation (ADL) ait qualifié la réunion de cette année-là de « rassemblement antisémite » qui « comprenait des antisémites étasuniens et internationaux, des négationnistes de l’Holocauste et des activistes anti-guerre« .
Les participants potentiels à la conférence de Beyrouth ont déployé des efforts considérables pour savoir quelles pourraient être les conséquences s’ils assistaient à l’événement, mais le département du Trésor a refusé de se laisser entraîner dans un débat sur des restrictions qui étaient sans doute inconstitutionnelles. Les avocats qui ont été consultés ont averti que tout avis du FBI selon lequel une personne pourrait être arrêtée devrait être interprété comme signifiant qu’une personne sera arrêtée. D’autres sources au sein du gouvernement ont laissé entendre en privé que l’administration Trump serait ravie si elle pouvait faire un exemple avec certains Étasuniens laxistes envers l’Iran.
Maintenant que la conférence s’est achevée sans qu’il n’y ait une présence US significative, la manière dont les sanctions pourraient être appliquées a été clarifiée. En réponse à une question d’un participant potentiel, un employé du CCFO a expliqué que les termes « transaction » et « négociations », tels qu’ils sont utilisés par le CCFO, sont largement interprétés comme incluant non seulement des opérations ou échanges monétaires, mais également la « fourniture de tout type de service » et de « service non monétaire », incluant une présentation à une conférence. Toute personne se livrant à cette activité pourrait être sujette à des conséquences juridiques parce que le département du Trésor et le CCFO ont une grande latitude pour prendre des mesures contre les personnes qui enfreignent ses règles ou lignes directrices, et qu’une série de facteurs sont pris en considération au moment de décider de prendre des mesures contre une personne en particulier ou pour une violation particulière.
Lorsqu’on lui a demandé si le fait de traiter avec des organisations iraniennes non sanctionnées pouvait aussi être interprété de façon négative, l’employé du CCFO a répondu qu’il pourrait y avoir des conséquences. C’est parce que l’Iran (avec la Corée du Nord et quelques autres pays) est un pays « entièrement sanctionné », ce qui signifie que tout ce qui a à voir avec un « soutien » est sanctionnable.
Il n’est pas clair dans quelle mesure le fait de parler lors d’un événement parrainé par l’Iran est préjudiciable aux intérêts US, malgré les « éclaircissements » fournis par l’OFAC, mais le préjudice réel est pour les citoyens US qui choisissent de voyager dans des pays qui sont en désaccord avec Washington pour offrir une perspective différente sur ce que pensent réellement les Étasuniens. Et les voyageurs qui retournent aux États-Unis pour partager avec leurs concitoyens leur perception de la manière dont les étrangers perçoivent la politique étrangère US, dans la mesure où il existe réellement quelque chose qui puisse être décrit comme une politique. En vérité, le régime de sanctions, avec son régime de punition constant, est maintenant entré dans une nouvelle phase, comme l’a observé Blumenthal, où l’agression de la Maison-Blanche à l’étranger est en train de saper les protections offertes par la Déclaration des Droits dans un acte d’autodestruction qui est à la fois inutile et incompréhensible.
Par Philip Giraldi: ancien spécialiste de la lutte antiterroriste et officier du renseignement militaire de la CIA ; chroniqueur et commentateur de télévision, directeur exécutif du site National Interest.
Sources : Strategic culture; Traduction Réseau International