Lorsque le gouvernement libanais a décidé d’autoriser Starlink à vendre de l’internet sur le marché local, il n’a pas examiné la question sous tous ses aspects.
La discussion s’est limitée à quelques questions-réponses lors de la séance d’octroi de la licence, dominée par les préoccupations de sécurité.
Personne n’a envisagé que les revenus du ministère des Communications provenant de la location de lignes E1 ou de bande passante internationale seraient exposés à des risques de marché importants, notamment si Starlink décidait de baisser ses prix.
L’ancien président d’Ogero, Imad Kreidieh, a déclaré au quotidien Al-Akhbar que les derniers chiffres disponibles avant son départ indiquaient qu’il y avait entre 150 000 et 160 000 bandes E1 louées au Liban. Ces bandes passantes internationales sont utilisées par les abonnés d’Ogero (le ministère des Télécommunications), ainsi que par les abonnés du secteur privé et les deux opérateurs de téléphonie mobile. En pratique, tout l’internet vendu au Liban transite par ces lignes internationales.
Toute concurrence dans ce secteur se fera au détriment des recettes fiscales provenant de la location de ces bandes passantes internationales, d’autant plus que la licence de Starlink l’exempte de cette obligation puisqu’elle vend l’internet directement aux consommateurs via ses satellites.
Selon Kreidieh, « le véritable danger réside dans la possibilité que Starlink baisse ses prix et étende ses services aux particuliers. En l’état, la licence présente l’idée comme une simple solution de secours limitée, ce qui entraînera inévitablement des pertes. »
Face à cette réalité, l’objectif du Liban est-il de se doter d’un réseau national de télécommunications, ou de saper sa souveraineté nationale en matière de communications ? Ce qui apparaissait comme un « bond en avant » lors de l’octroi de la licence à Starlink pourrait, en réalité, constituer une nouvelle étape vers l’appauvrissement du Liban de ses ressources stratégiques.
Mépris délibéré de la souveraineté ?
L’expérience d’autres pays, comme l’Inde, l’Arabie saoudite et autres, offre des enseignements importants concernant l’octroi de licences aux fournisseurs d’accès Internet par satellite tels que Starlink.
Plusieurs points doivent être examinés avant l’octroi d’une licence, notamment les exigences en matière de sécurité et de souveraineté, telles que les lieux de stockage des données, la capacité des autorités locales à surveiller le trafic de données et la faisabilité de la location du spectre de fréquences sous deux angles : financier, lié aux redevances annuelles de licence, et technique, garantissant l’accès au réseau via une passerelle locale et la compatibilité avec les autres fréquences utilisées au Liban.
De plus, les facteurs de marché liés à la prévention des monopoles et à la capacité de l’État à intervenir sur les prix doivent être pris en compte.
Sur le plan juridique, le Liban n’a pris aucune mesure législative pour réglementer l’arrivée des fournisseurs d’accès Internet par satellite.
Le débat est resté clos, comme s’il ne concernait que Starlink, en tant que solution de secours en cas de perturbations des communications au Liban.
Selon un article du Economic Times intitulé « La licence de Starlink interdit la copie ou le décryptage de données indiennes hors d’Inde », l’Inde a imposé des conditions claires, telles que le stockage local des données et l’établissement de passerelles terrestres nationales. L’Arabie saoudite, quant à elle, a opté pour une approche plus prudente, n’accordant pas encore de licence pour un usage commercial ou résidentiel, mais autorisant uniquement son utilisation dans la navigation aérienne et le transport maritime.
Mais le plus grand défi au Liban réside dans la question de la souveraineté. Les communications Starlink contournent les opérateurs locaux et affaiblissent la capacité de l’État à contrôler et à réglementer, d’autant plus que la décision du gouvernement d’autoriser Starlink sur le marché libanais n’a pas prévu la mise en place de relais terrestres locaux servant uniquement de points d’entrée et de sortie pour les données en provenance et à destination des satellites.
Ceci pourrait ouvrir la voie à un marché parallèle des télécommunications, échappant au contrôle des autorités, menaçant les recettes publiques et sapant l’autorité de l’État sur les infrastructures nationales.
Les préoccupations liées à la sécurité et à la souveraineté sont tout aussi importantes que l’aspect financier, que le gouvernement libanais a traité superficiellement. Cette approche contraste avec les expériences internationales concernant Starlink.
Outre les dimensions juridiques et sécuritaires, les aspects financiers et économiques constituent un défi majeur. Il est crucial que le Liban garantisse l’intégralité de ses droits économiques et financiers, comme cela a été le cas dans toutes les expériences internationales avec Starlink.
De plus, la licence devrait être conditionnée à l’implantation de stations terrestres au Liban et à l’incitation à l’investissement dans les infrastructures nationales.



