L’attaque revendiquée par des houthis yéménites, contre des infrastructures pétrolières du royaume le 14 septembre dernier, a suscité l’inquiétude au sein plusieurs branches de la famille royale. Assassinat de Jamal Khashoggi, enlisement de la guerre au Yémen et purges au sein du pouvoir saoudien… Certains choix de Mohammed ben Salmane ont été vivement critiqués jusqu’à Riyad. Son emprise sur le pouvoir est-elle aussi ferme qu’elle ne parait ?
Son emprise est à la fois très forte et fragile. Très forte, car il a écarté, définitivement ou provisoirement, en les intimidant (on pense au célèbre et multimilliardaire Prince Al Waleed détenu plusieurs mois sans procès dans un hôtel de luxe de la capitale saoudienne entre fin 2017 et début 2018) presque tous ceux qui auraient pu représenter une menace sérieuse. ll a ainsi fait presque le vide autour de lui.
Cependant, Mohamed Ben Salmane (MBS) est aussi fragile car l’imprévisible Trump peut décider, s’il a l’impression qu’il ne sert plus suffisamment ses intérêts ou qu’il va à leur encontre (lancer une attaque contre l’Iran obligeant Washington à réagir) faire pression pour l’écarter. Par ailleurs, un évènement récent et d’importance s’est produit, le 28 septembre dernier, mais il a été rapidement évacué par les médias occidentaux, à savoir l’assassinat du garde du corps personnel du roi Salman, lors, selon la version officielle d’une querelle avec un ami, mais hors du palais royal et loin du roi Salman, toujours selon les autorités saoudiennes. Mais le fait que ce drame se soit produit juste après l’attaque du 14 septembre contre les sites d’ARAMCO n’est probablement pas anodin. Certaines sources bien informées considèrent que ce garde du corps qui avait rang de général (et était de nationalité saoudienne) aurait pu être tenté d’influencer le roi Salman pour le convaincre d’écarter MBS ou de réduire ses pouvoirs et qu’il aurait été en réalité neutralisé de façon préventive ou subi les représailles du fougueux prince héritier informé de ses intentions. D’ailleurs MBS disposerait selon ses détracteurs, et à l’instar de nombreux hauts dirigeants de ce monde de garde du corps qui ne seraient pas des nationaux, ces derniers étant considérés comme moins loyaux.
Enfin, la « rue saoudienne», lorsqu’elle a été mécontente dans le passé ou critique des frasques de la famille royale a été d’une certaine manière « achetée » par la manne pétrolière. Hors, si celle-ci se tarit car le pays ne peut plus exploiter l’intégralité de son potentiel à cause des attaques ennemies, comme le 14 septembre dernier, alors comment réagira-t-elle ? Ne lancera-t-elle pas son « printemps arabe » par crainte de voir le pays s’effondrer totalement sur fond de guerre sans fin avec le Yémen.
En apparence MBS semble être le vrai dirigeant, mais on a vu qu’il avait été absent à l’occasion d’un certain nombre de manifestations importantes ces derniers mois et que ce n’est pas lui qui a condamné un certain nombre de projets israéliens maximalistes annoncés par Netanyahu comme si son rapprochement avec l’Etat hébreu semblait être allé trop loin. On dirait que le roi Salman lui a retiré ses prérogatives pour tout ce qui concerne ce pays, qui contrôle un des trois grands lieux saints de l’Islam, Jérusalem, dont officiellement, puisque c’est son titre, le souverain d’Arabie Saoudite est le gardien. Il est aussi vrai que MBS a été invité à se faire plus discret après l’affaire Khashoggi. Quant à sa concentration à l’extrême de ses pouvoirs, elle est contre-productive, puisqu’il aurait gagné à disposer de fusibles, et personne ne lui aurait reproché de diluer davantage les responsabilités étant donné son manque d’expérience.
MBS garde la confiance de son père jusqu’à un certain point. Si cela doit ébranler trop fortement la monarchie sur ses bases, il devra alors peut être revenir sur sa décision. Par ailleurs, reconnaitre qu’il s’est trompé est très difficile à admettre pour le Roi Salman, cela serait se déjuger et concéder que la monarchie peut commettre des erreurs majeures et qu’elle n’est pas d’une certaine façon quasi infaillible et donc moins légitime.
Il est dans une certaine mesure coincé, d’autant plus qu’il a bouleversé l’ordre de succession en place depuis la mort du fondateur de la dynastie, à savoir que ce sont les fils de ce dernier qui se succèdent sur le trône. Et c’est pourquoi a ressurgi régulièrement l’hypothèse du prince Ahmed Ben Abdelaziz, autre frère du roi Salman (77 ans) qui pourrait être un souverain de transition et succéder à son frère ainé au cas où il décéderait prochainement.
Le prince Moukrin, autre oncle de MBS, écarté lui aussi par ce dernier, et un peu plus jeune (74 ans tout de même), pourrait peut-être faire son retour. Après eux, on reviendrait à une gouvernance plus classique (même si la troisième génération sera alors au pouvoir), c’est à dire plutôt consensuelle, ménageant les différents clans et branches de la famille royale, loin du projet centralisateur et hégémonique de MBS, symbole de décisions unilatérales qui jusque-là n’ont pas prouvé qu’elles étaient un gage de réussite même si dans l’esprit du jeune prince c’est le seul moyen de moderniser un pays sclérosé.
Par Bob Woodward.
Source : Decrypt news online