La Guerre Hybride contre la Bolivie est loin d’être terminée, mais elle a en fait atteint son objectif le plus immédiat, qui était d’opérer un changement de régime contre le Président légitime Morales, réélu démocratiquement. Il est donc important d’examiner comment cela s’est produit dans l’espoir que d’autres pays puissent mieux se préparer à répondre à des campagnes de guerre asymétrique comme celle-ci s’ils sont ciblés dans l’avenir.
Morales se rendra au Mexique
La nouvelle selon laquelle (« l’ancien ») Président Morales s’envolera pour le Mexique après y avoir obtenu l’asile politique a été accueillie avec soulagement par ses nombreux partisans dans le monde entier qui craignaient que les autorités pro-US nouvellement imposées dans son pays ne prévoient de l’exécuter comme elles l’ont fait pour Che Guevara il y a un peu plus d’un demi siècle. Le dirigeant bolivien s’est engagé sur Twitter à retourner un jour auprès de son peuple, mais il semble peu probable que cela se produise de sitôt. Les militaires et leurs alliés de « l’opposition » sont en train de renforcer leur contrôle sur le pays, c’est donc le bon moment pour examiner comment la Guerre Hybride contre la Bolivie a réussi à réaliser son objectif le plus immédiat de changement de régime contre le président démocratiquement réélu et légitime du pays, ainsi que les moyens sur lesquels il compte pour rester au pouvoir, ce qui, espérons-le, aidera les autres pays à se préparer pour réagir aux campagnes asymétriques comme celles-ci si ils sont pris comme objectif dans l’avenir.
Préconditionnement de la population
Le Président Morales a toujours été une épine dans le pied des États-Unis, mais le sort a été jeté pour un changement de régime contre lui lorsqu’il a annoncé la tenue d’un référendum pour modifier la Constitution afin de lui donner les moyens de se présenter pour un quatrième mandat. Le référendum de février 2016 n’est pas passé de justesse, mais on croit que c’est à cause de révélations scandaleuses qui ont été rendues publiques plus tôt ce même mois, selon lesquelles il aurait accordé des faveurs à une ancienne maîtresse qui a donné naissance à son fils en secret. Elle a par la suite été arrêtée et reconnue coupable de corruption dans une affaire qui a exonéré le Président Morales de tout acte répréhensible, mais le scandale avait déjà nui à la gestion de la perception, car il a réussi à retourner l’électorat contre lui et à lui refuser le droit de se présenter pour un quatrième mandat. En raison du moment de cette controverse et de l’effet qu’elle aurait eu sur le résultat du référendum, on peut conclure qu’il s’agissait probablement d’un cas « d’action directe » des services de renseignements US pour empêcher « passivement » sa réélection.
La Cour Suprême Électorale a finalement annulé le résultat du référendum en décembre 2018 et a donc permis au Président Morales de se présenter aux dernières élections du mois dernier, qui ont servi par inadvertance de « déclencheur » pour « justifier » la prochaine Révolution de Couleur des États-Unis contre lui immédiatement après le vote. La population était déjà plus polarisée qu’à tout autre moment de sa présidence, et le fait que les résultats aient été retardés d’environ 24 heures avant de confirmer qu’il avait évité un second tour d’élections par une marge d’un peu plus de 10% de voix de plus que son plus proche adversaire n’a pas aidé. Alors que de larges segments de la population croyaient déjà que leur vote avait été « volé » après le renversement du référendum par les tribunaux, cet événement fortuit et totalement imprévisible a été le catalyseur nécessaire pour qu’ils descendent dans la rue en signe de protestation et fassent passer le complot de changement de régime contre le Président Morales à sa prochaine phase de Révolution de Couleur, qui commence, soutenue par les États-Unis.
Ravages de la Guerre Hybride
On sait maintenant que les dirigeants de « l’opposition » conspiraient avec les États-Unis pour renverser le gouvernement après que Sputnik ait rapporté des fuites de conversations audio qui le confirmait. Selon la dynamique de la Guerre Hybride, la majorité des participants aux « protestations » de plus en plus violentes n’étaient probablement pas « dans le coup » mais savaient dans leur propre esprit ce que leurs actions étaient destinées à accomplir, se lançant dans le flux en tant que soi-disant « compagnons de route » afin de fournir la masse critique dont leurs dirigeants avaient besoin pour que leur mouvement mérite une attention mondiale des médias. Alors que la pression internationale s’accumulait sur lui, le Président Morales s’est quelque peu naïvement soumis à des appels à un audit prétendument « impartial » du scrutin en demandant l’aide de l’OEA soutenue par les États-Unis, pariant probablement que cela lui donnerait du temps pour préparer sa prochaine étape et aussi pour montrer au monde qu’il n’a rien à cacher. Ce qu’il n’avait pas réalisé, cependant, c’est que les services de renseignements US avaient déjà coopté avec succès ses forces policières et militaires et attendaient simplement le moment le plus décisif pour mener à bien leur coup d’État pré-planifié.
Les deux semaines qui ont suivi ont été marquées par des « protestations » de plus en plus violentes qui se sont transformées en émeutes généralisées dans différentes parties du pays, au cours desquelles le Président Morales aurait dû réaliser que les services de sécurité n’étaient plus de son côté puisqu’ils ne s’acquittaient plus de leur devoir constitutionnel de rétablir l’ordre et la loi. La fin de semaine précédant la publication de la « recommandation » préliminaire de l’OEA a été marquée par la pire violence de mémoire récente destinée à envoyer au Président Morales le signal qu’il devrait démissionner, sinon… Une mairesse alliée a été lynchée dans la rue, des émeutiers se sont emparés des bâtiments des médias d’État dans la capitale, les maisons de la sœur du Président Morales et de deux de ses gouverneurs ont été incendiées et des informations ont commencé à affluer selon lesquelles les membres de sa famille étaient menacés pour leur parent fonctionnaire démissionne. Même alors, cependant, le Président Morales a tenu bon et a suivi la « recommandation » de l’OEA de refaire les dernières élections, mais les militaires ont annoncé qu’ils commençaient des opérations contre ce qui étaient manifestement ses partisans juste avant de lui « conseiller » de démissionner peu après, ce qu’il a fait.
« La Nuit de Cristal de Bolivie »
La nuit où l’opération de changement de régime s’est achevée ne peut être décrite que comme la « Nuit de Cristal de Bolivie », car les collaborateurs du coup d’État se sont précipités dans toute la capitale (ironiquement appelée La Paz, ou « paix ») pour attaquer les partisans du Président Morales, pour la plupart autochtones, et brûler leurs entreprises dans une orgie de violence destinée à les inciter à quitter les régions urbaines où ils avaient migré ces dernières années. Ils ont aussi attaqué l’ambassade du Venezuela. Le pogrom n’a pas réussi parce que les communautés indigènes ont riposté, bien que leur résistance justifiée ait été, comme on pouvait s’y attendre, présentée à tort par les médias grand public comme s’ils étaient responsables de la violence au lieu d’être les victimes qu’elles étaient vraiment, ce sur quoi le Président Morales a attiré l’attention dans un de ses tweets pendant sa fuite. Sans surprise, alors que les militaires avaient auparavant promis de ne pas se « confronter au peuple » alors que leur chef subissait d’énormes pressions de Révolution de Couleur de la part de véritables émeutiers, ils ont depuis inversé leur position et ont non seulement évacué les membres de « l’opposition » du Parlement et arrêté certains de ses représentants mais ils sont maintenant prêts à répondre avec vigueur aux manifestants du camp Morales.
Le décor est maintenant dangereusement planté pour une violence à grande échelle entre l’État et la société civile, alors que la dictature militaire se prépare à tirer sur les partisans du Président Morales dans la rue afin d’envoyer un message à leurs compatriotes ethniques à travers le pays : ils perdront la vie s’ils ne se soumettent pas au système néolibéral et mondialiste que leurs oligarques prévoient réimplanter en Bolivie. Les militaires n’ont probablement pas de dossiers détaillés sur les millions de ses partisans civils comme ils avaient sur ses douzaines de représentants au gouvernement, de sorte qu’ils ne sont pas en mesure, pour le moment, d’envoyer les escadrons de la mort des mafieux de « l’opposition » de droite à leurs familles afin de les faire chanter pour les convaincre de cesser leurs activités anti-coup d’État. Cela signifie seulement que ces mêmes escadrons de la mort seront probablement envoyés dans leurs quartiers dans les nuits à venir pour cibler sans discrimination les habitants locaux comme une forme de punition collective si les manifestations ne cessent pas bientôt. C’est soit ça, soit les tuer dans la rue, mais comme le coup d’État a reçu l’approbation officielle de Trump, ses conspirateurs pourraient probablement assassiner de sang froid des manifestants non armés sans conséquences internationales graves s’ils en ressentaient le « besoin » puisqu’ils peuvent toujours compter sur le soutien économique des États-Unis.
Leçons à tirer
En réfléchissant aux leçons à tirer de la Guerre Hybride sur le changement de régime réussi en Bolivie contre le Président Morales, il faut dire qu’il a lui-même facilité le déroulement de ce complot lorsqu’il a plus que jamais polarisé le pays en se présentant pour un quatrième mandat après que le Tribunal Suprême Électoral ait annulé les résultats du référendum de février 2016 au lieu de consacrer les 3 dernières années et demi à la préparation d’un successeur. Cela a involontairement contribué à la campagne de guerre de l’information US qui a conditionné certains éléments ciblés de la population à croire qu’il avait des « tendances dictatoriales » et pouvait « s’accrocher au pouvoir » par « corruption ». Quant à la phase cinétique de la Guerre Hybride elle-même, le Président Morales n’avait aucune chance de survivre à la crise dès le début, puisque les services de renseignements US avaient déjà coopté ses services de sécurité, qui avaient probablement transmis des informations sur les familles de ses responsables aux foules de droite et facilité ainsi leur prise d’otages. Néanmoins, comme l’a souligné l’écrivain et militant indépendant vénézuélien et canadien Nino Pagliccia, « une union civico-militaire forte soutenue par des milliers de milices volontaires » qui aurait rendu la situation plus difficile à surmonter même au Venezuela.
Par Andrew Korybko
Sources: One World; traduit par Réseau international