Le chef de l’Etat, le général Michel Aoun a adressé le samedi (21 novembre) soir un message à la Nation à l’occasion de la fête de l’indépendance à partir du palais présidentiel de Baabda.
Le message télédiffusé est le suivant :
Chères Libanaises, chers Libanais,
Cette année nous célébrons la soixante-dix-septième fête de l’indépendance du Liban qui fut malheureusement jalonnée de crises et de difficultés impactant les moyens de subsistance de tous les Libanais, leurs économies ainsi que l’avenir de leurs enfants. Certains ont même payé le prix fort soit pour avoir perdu des êtres chers à la suite de la plus grande tragédie qui a touché le cœur de Beyrouth soit qu’ils aient été victimes d’un fléau qui continue à paralyser le monde entier.
Oui, notre situation actuelle n’est guère prometteuse, mais l’évaluer ne signifie ni l’accepter ni se laisser faire. Nous sommes un peuple qui a toujours résisté pour exister. Et je ne déroge pas à ma promesse de creuser les rochers, quel que soit leur solidité, pour ouvrir la voie du salut à la patrie.
Chers compatriotes,
L’indépendance au sens général du terme signifie l’indépendance politique et la libération de l’occupation, d’un mandat, de la tutelle étrangère, de la dépendance politique … Cependant l’expérience libanaise prouve que tout cela ne suffit pas pour que notre pays soit indépendant. De nombreux obstacles subsistent, faisant de nous des prisonniers.
Notre pays est aujourd’hui otage d’un système de corruption politique, financière et administrative,sous le couvert de divers types de protections codifiées, sectaires, confessionnelles et sociales. À tel point que cette corruption est devenue une culture et une philosophie ayant même ses théoriciens qui la justifient et la défendent.
Notre pays est entre les mains d’une clique unie et solidaire qui empêche toute accusation et poursuite, fournissant les prétextes et adaptations nécessaires pour contourner les lois et faire obstacle à leur mise en œuvre.
Notre pays est captif d’une économie rentière qui a tué sa production en l’orientant vers l’emprunt et le plaçant en situation de dépendance pour subvenir à ses besoins, devenant ainsi l’otage de ses créanciers.
Notre pays est prisonnier d’un système judiciaire, lui-même asservi par la politique et dominé par les personnes influentes.
Notre pays est otage de politiques obstructives et malveillantes qui empêchent tout progrès et toute réalisation.
Notre pays est enfermé dans la haine et l’incitation diabolique qui transforme ses fils en frères ennemis.
Notre patrie est captive de diktats et d’altercations internationales ainsi que de calculs internes qui font de l’indépendance, de la souveraineté et de la démocratie des mots vides de sens.
Chers compatriotes,
Nombreux sont aujourd’hui les obstacles qui entravent notre chemin. Cependant, il n’est pas impossible de les abattre si nous voulons véritablement reconstruire la nation, nous libérer et atteindre une réelle indépendance.
Je vous le dis en toute sincérité, la réforme et la création de l’État dépendent de votre volonté, alors exprimez-la.
Si nous voulons rétablir l’État, il n’y a pas d’échappatoire à la lutte contre la corruption. Aucun pays ne peut être entreprenant et efficace sous le règne de la corruption. Et cela doit obligatoirement démarrer par une enquête financière et pénale suivie par l’adoption de projets de lois portant sur les réformes, la responsabilité et la régularité financière déjà présentés au Parlement. Au premier rang desquels figurent : le recouvrement de l’argent volé, le tribunal spécial pour les délits financiers, l’enquête automatique sur les avoirs financiers des responsables du secteur public… Par ailleurs, il nous faut adopter les lois qui préservent et protègent la dignité humaine, dont notamment celle sur l’assurance vieillesse.
Si nous voulons reconstruire l’État, il est obligatoire de concentrer tous les efforts pour atteindre la suffisance économique, donnant la priorité à la production qui reste la pierre angulaire de la construction d’une économie nationale indépendante. Aucune indépendance réelle n’est possible lorsque l’économie du pays dépend de l’étranger.
Si nous voulons reconstruire l’État il faudra libérer les institutions de l’influence des politiciens et des pôles de références, afin que les décisions et les nominations reposent sur la compétence, l’intégrité, le mérite et la productivité en adoptant des normes identiques pour toutes les communautés du pays.
Enfin et surtout, la reconstruction de l’État exige la présence d’un gouvernement qui entreprend et exécute. N’est-il pas temps, à la lumière de toutes ces conditions contraignantes, de libérer le processus de formation du gouvernement des tiraillements et des affronts dissimulés sous le couvert d’initiatives de sauvetage afin de s’écarter des règles qui régissent la composition de tout gouvernement ? C’est-à-dire appliquer les mêmes normes à tous pour mettre en place une autorité procédurale juste et efficace. D’autant que les tâches qui attendent ce gouvernement ont un caractère immédiat et urgent avec en priorité le lancement d’un chantier de réformes structurelles, la reconstruction de Beyrouth, le pansement de ses blessures et l’élaboration d’un plan de relance financier traduit en lois et décrets d’application.
Chers compatriotes,
Trois mois se sont écoulés depuis la tragique explosion du port de Beyrouth et le Liban et le monde sont toujours en attente des résultats de l’enquête. Avec tout mon respect pour la confidentialité du secret de l’instruction et de l’indépendance du pouvoir judiciaire, j’appelle en tant que Président de la République à l’accélération de ce processus. Les Libanais et en tête ceux qui ont été touchés directement, parents des victimes, blessés et ayants-droit… ils ont tous besoin des résultats de l’enquête pour connaitre la vérité, incriminer les coupables et innocenter ceux qui sont injustement accusés. Des résultats qui leur permettent aussi de bénéficier des indemnités auxquelles ils ont droit. Par ailleurs, il est évident que l’enquête doit couvrir tous les aspects de la catastrophe et ne pas se limiter aux responsabilités administratives.
Chers compatriotes,
Au milieu des défis qui entourent notre pays et auxquels nous sommes confrontés, il est important de souligner que le Liban reste entièrement attaché à la souveraineté de ses frontières, espérant que les négociations pour délimiter les frontières maritimes au sud du pays porteront leurs fruits. Notre pays pourra ainsi recouvrir tous ses droits et rectifier la Ligne bleue tout comme ses frontières terrestres telles qu’elles ont été tracées, fixées et reconnues par les conventions internationales.
Quant aux changements politiques radicaux et aux transformations qui se déroulent autour de nous tant au niveau international que régional, il est frappant de constater la reconnaissance d’Israël par plusieurs pays arabes. Ceux-ci se dirigent vers une normalisation complète des relations ce qui entraîne malheureusement l’acceptation implicite de la perte de Jérusalem et du plateau du Golan. À cela il faut ajouter la pression américaine accrue avant la mise en place de la nouvelle administration et le retour de l’implication russe dans le dossier des déplacés syriens.
Ces changements auront sans aucun doute des répercussions importantes sur le Liban, et il n’appartient à aucun responsable ni gouvernement de décider individuellement des politiques à adopter face à cette nouvelle réalité qui nécessite une grande solidarité. D’autant que nous sommes devant des modifications qui peuvent changer la face de la région. Par conséquent, il est impératif de lancer un dialogue national pour discuter des changements nécessaires dans les secteurs politiques, sécuritaires et de la défense afin d’être en mesure d’accompagner cette étape.
Tous les désaccords doivent être mis de côté pour permettre aux volontés de converger vers une position unifiée qui permet de protéger le Liban l’empêchant d’être sacrifié et devenir le bouc émissaire des grandes ententes de la région.
À présent je voudrai m’adresser à nos forces armées.
Chers militaires,
Nous sommes unis par un serment : pour ma part celui de protéger la constitution, les lois, l’indépendance de la patrie et son intégrité territoriale. En ce qui vous concerne, il consiste à défendre et à protéger le pays. En cette période votre rôle est crucial car vous devez non seulement défendre nos frontières, mais également préserver l’unité nationale que beaucoup cherchent à ébranler. Je suis confiant que vous accomplirez cette mission primordiale aujourd’hui avec honnêteté et engagement.
À mon tour, je vous promets de ne renoncer à aucun de nos droits et de ne signer aucun projet qui ne soit dans l’intérêt du Liban.
Chers compatriotes,
Le Liban a été informé hier de la regrettable décision du cabinet d’audit médico-légal Alvarez & Marsal de se retirer de la mission qui lui avait été confiée et ce en raison du refus de la Banque Centrale du Liban de lui transmettre les informations et documents demandés et de l’incertitude de les obtenir dans le délai restant, l’empêchant ainsi de mener ses travaux conformément aux normes internationales approuvées.
Le moins qu’on puisse dire dans ces circonstances, c’est qu’il s’agit d’un revers porté à la logique du rétablissement de l’État et à la transparence souhaitée. En effet, le contrôle judiciaire et pénal est l’entrée en matière de toute réforme. Il permet de mettre en lumière les sources de corruption et de gaspillage, d’expliquer les causes de l’effondrement actuel et de nommer les responsables. Après la Banque Centrale, il était convenu que ce contrôle soit appliqué à tous les ministères, les départements et les institutions. Il est en effet vain de combattre la corruption sans avoir recours à un audit financier et pénal. J’ajoute à cela que celui-ci est demandé dans toutes les feuilles de route réformatrices et notamment l’initiative française. De plus, il est l’une des conditions du programme d’aide du FMI et des pays et fonds donateurs. Malgré cela ou sans doute à cause de cela, de nombreux obstacles et écueils ont été dressés sur sa route. À chaque obstacle soulevé, un autre apparaissait, encore plus difficile. Les barricades se sont ainsi multipliées à dessein par les profiteurs jusqu’à lui porter le coup fatal.
Et je le dis en toute clarté :
Je ne reculerai pas ni ne m’écarterai de ma lutte contre la corruption enracinée dans nos institutions, bien que ce soit une bataille inégale face à un système interconnecté qui tient les rênes de la décision financière depuis des décennies.
Je n’abandonnerai pas le contrôle financier et pénal, quels que soient les obstacles, et je prendrai les mesures nécessaires pour qu’il puisse reprendre son cours.
J’appelle les députés de la nation à s’acquitter de leur devoir législatif pour lequel les citoyens les ont élus.
J’appelle les médias à mener cette bataille en toute honnêteté et transparence, car elle constitue la véritable arène où se tient la lutte contre la corruption.
Quant au peuple du Liban, je l’exhorte à se lever d’une même voix pour faire pression là où c’est nécessaire et remporter cette bataille essentielle pour sauver le Liban.
Vive le Liban !
Source: ANI