Deux ans après le Déluge d’Al-Aqsa, le quotidien libanais Al-Akhbar a mené une interview avec le dirigeant du Hamas Mahmoud Al-Merdaoui. Voici les principaux points de cet entretien:
■ Deux ans après le « Déluge d’Al-Aqsa », regrettez-vous vos actes du 7 octobre 2023 ? Quels avantages ce « déluge » a-t-il apportés à la cause palestinienne ?
La Résistance est responsable de s’opposer aux plans de l’occupation et de l’empêcher d’atteindre ses objectifs politiques. Sa confrontation avec le projet sioniste n’est pas liée à ses propres équations ; elle fait partie d’une nation islamique et arabe qui porte des responsabilités et des devoirs aux côtés des Palestiniens.
Du point de vue israélien, l’équation du recours à la force brutale est soumise à des considérations régionales et internationales.
Si l’occupation estime que ces considérations lui permettent d’agir à sa guise, elle recourra à ces options.
Par conséquent, la question des crimes israéliens est un jugement du comportement israélien lui-même, et la Résistance ne doit pas être jugée pour cela.
Le Palestinien est la victime, et l’occupation est le bourreau.
La lutte palestinienne traverse des vagues, et cette vague, malgré sa cruauté, s’inscrit dans le cadre de la lutte palestinienne, qui n’a cessé depuis plus de cent ans de s’opposer aux projets du mandat, de la colonisation et de l’occupation.
L’identité nationale et l’entité politique du peuple palestinien se sont forgées dans le cadre de la lutte permanente contre le projet sioniste.
La bataille actuelle à Gaza, en Cisjordanie et dans toutes les zones de présence palestiniennes est une lutte défensive visant à la consolider et à empêcher l’occupation d’atteindre ses objectifs de marginalisation de la cause et de dissolution de son identité nationale.
On peut dire que la détermination du peuple palestinien, conjuguée à sa Résistance, ont restauré le prestige de la cause palestinienne en tant qu’enjeu politique, a contribué à l’isolement sans précédent de l’occupation et a creusé les fractures au sein de la société sioniste.
Cette bataille ne peut être considérée comme une lutte à armes égales, ni selon les analyses traditionnelles liées aux conflits internationaux.
Aujourd’hui, les Palestiniens sont confrontés à l’expansion des colonies israéliennes et à une atteinte américaine sans précédent à leurs droits. Tant que notre peuple maintiendra sa détermination et que la Résistance s’accrochera à son droit à la terre, l’occupation sera vouée à l’échec et à l’anéantissement. C’est ce qui s’est produit en Algérie, au Vietnam et dans d’autres pays qui ont consenti des sacrifices et ont finalement triomphé.
■ Alors que la guerre dans la bande de Gaza entre dans sa troisième année consécutive, où en est la Résistance aujourd’hui ? Quel bilan fait-elle de ses capacités après toutes ses pertes ? Dispose-t-elle encore des outils de puissance nécessaires ?
La Résistance mène une guerre asymétrique et inégale, s’appuyant sur un style de combat qui entretient l’épuisement de l’occupation sans compromettre ses capacités humaines et militaires, l’empêchant ainsi de remporter ce qu’elle appelle une « victoire décisive ».
La Résistance s’efforce de ne pas se laisser entraîner dans un style militaire qui confère à l’occupation une supériorité et une puissance décisive.
Par conséquent, si l’on examine rétrospectivement le comportement de la Résistance au cours des deux dernières années, on constate qu’elle a su maintenir une dynamique de combat croissante et porter des coups à l’occupation dans différentes zones de la bande de Gaza, de l’extrême sud à l’extrême nord.
Par conséquent, tant que la Résistance maintiendra l’armée d’occupation dans un équilibre d’épuisement et de fatigue, elle l’empêchera d’atteindre ses objectifs politiques, consistant à changer la réalité politique dans la bande de Gaza et ce en maintenant une présence militaire et en expulsant la population.
La Résistance est fondamentalement axée sur la confrontation avec l’occupant et la défense des droits du peuple palestinien.
Aujourd’hui, deux ans après la guerre, elle est plus déterminée à persévérer, car elle constate l’ampleur du complot mondial contre la cause palestinienne et la faiblesse de la volonté internationale et de ses outils pour protéger la vie du peuple palestinien.
Les moyens matériels n’ont jamais été un critère de Résistance du peuple palestinien. Le peuple palestinien l’a affrontée avec des pierres, des fusils et des roquettes. Cette volonté est ancrée dans la nature même du peuple palestinien, en quête d’une patrie et d’une identité.
■ Quelle est votre interprétation de la réalité du soutien populaire à la Résistance à Gaza après tout ce qui s’est passé ?
Il ne fait aucun doute que le soutien populaire à la Résistance porte le plus lourd fardeau de cette guerre, car la stratégie de l’occupation vise à briser la volonté de persévérance de la société palestinienne, à cautériser sa conscience et à l’empêcher d’exercer ses droits nationaux et politiques.
Par conséquent, l’occupation a adopté une politique de famine qui a touché toutes les composantes de la société palestinienne et provoqué une famine sans précédent.
L’occupation a exploité la faim pour intensifier le chaos et détruire la paix civile. Elle s’est employée avec diligence à créer un état de chaos sécuritaire en ciblant les forces de sécurité et les agences gouvernementales et en soutenant des milices d’agents et de trafiquants de drogue dans diverses zones de la bande de Gaza.
La Résistance est consciente de la gravité de cette situation et s’est mobilisée pour y faire face sur les plans politique, social, sécuritaire et militaire.
La Résistance possède une vision globale pour combattre les projets israéliens, dont les résultats ont commencé à se faire sentir sur le terrain ces derniers jours dans diverses zones de la bande de Gaza.
La base populaire de Gaza continue de consentir aux plus grands sacrifices. Ce qu’elle a affronté et enduré, c’est la profonde compréhension que la bataille a dépassé le concept d’engagement militaire armé pour englober la lutte contre la volonté, l’imposition de conditions politiques et les tentatives de déplacement. C’est pourquoi elle a enduré la confrontation dans le combat de la famine et de la guerre, alors qu’il est important de souligner que la société palestinienne a besoin du soutien et de l’aide de diverses parties arabes, islamiques et internationales.
■ Pourquoi vos appels répétés au soulèvement en soutien à la bande de Gaza, en Cisjordanie, à AlQods et dans les territoires occupés n’ont-ils pas eu l’effet escompté ?
Le problème fondamental réside dans la définition de la bataille par de nombreuses parties. Certains pensent qu’il s’agit uniquement d’une bataille pour Gaza ou uniquement d’une bataille pour les Palestiniens.
En réalité, cette bataille est fondamentalement celle qui détermine le sort des peuples et des pays de la région, car les États-Unis ont décidé d’en être un acteur central dès le départ.
Cela se traduit par un soutien militaire dépassant les 23 milliards de dollars et par le rôle politique central américain visant à neutraliser les acteurs régionaux.
Les effets de cette situation se sont clairement manifestés dans les guerres qui ont ravagé les pays de la région.
Dans ce contexte, il ne faut pas oublier le rôle historique et l’action jihadiste significative du Hezbollah.
Le problème ne réside donc pas dans l’élan des peuples de la région, mais plutôt dans la force antagoniste entretenue par les États-Unis et l’occupation israélienne pour empêcher les peuples de la région et les différentes parties de soutenir le peuple palestinien.
Il existe également une incompréhension du combat de la part de la faction palestinienne au pouvoir à Ramallah, qui continue de croire les promesses faites par certains acteurs du système international et régional, croyant que la sécurité et le salut résident dans le fait de rester à l’écart du conflit. Cela a créé une situation de trouble et une faible performance.
Sur le plan populaire, la Cisjordanie a lutté et tenté d’y renforcer ses forces de résistance. Pendant un certain temps, elle est devenue un front principal dans la confrontation.
Elle continue de lutter et de tenter d’influencer, compte tenu du déséquilibre des forces, de l’absence de volonté politique de l’Autorité palestinienne et de la rareté des ressources et des capacités.
■ Comment décririez-vous le plan proposé par le président américain Donald Trump pour mettre fin à la guerre ? Êtes-vous prêt à faire des concessions en matière de sécurité ou de surveillance internationale en échange de la fin de la guerre et de la levée du blocus ?
Le plan proposé par le Président est avant tout un plan israélien, axé sur la résolution de la question des prisonniers, sans tenir compte des revendications et des droits du peuple palestinien.
Toutes les demandes israéliennes ont été définies avec des calendriers et des mécanismes clairs, tandis que celles de la Palestine ont été laissées à la libre volonté israélienne.
La Résistance n’acceptera pas un accord qui ne mette pas fin à la guerre ou qui pourrait constituer un coup d’État contre les droits du peuple palestinien.
Le Hamas fait preuve de souplesse, mais l’expérience de la Résistance en matière de négociation la rend plus prudente et sceptique.
Lors des précédents cycles de négociations, l’occupation a annulé tous les accords conclus avec les garanties américaines et la présence de médiateurs.
■ Si vos réserves et objections sont rejetées et que vous êtes à nouveau présenté comme la partie faisant obstacle à un cessez-le-feu, quels scénarios envisagez-vous ? Pouvez-vous compter sur quelque chose, notamment si la pression américaine s’intensifie sur les protagonistes qui accueillent vos dirigeants ?
Le Hamas insiste sur sa volonté de mettre fin à la guerre et, si les États-Unis souhaitent réellement y parvenir, ils doivent négocier et prendre en compte les revendications palestiniennes.
Il ne s’agit d’ailleurs pas de revendications factionnelles du Hamas ; elles représentent plutôt le cœur de la position populaire palestinienne, qui recherche un accord garantissant la fin des crimes israéliens.
Malheureusement, la partialité américaine est devenue évidente pour toutes les parties.
L’accord actuel indique que les deux camps, américain et israélien, cherchent à légitimer la poursuite de la guerre et à mettre fin à l’isolement que l’État occupant a récemment subi en tenant les Palestiniens pour responsables de la poursuite de la guerre.
Nous avons affaire à un ennemi criminel, et on s’attend à tout de sa part. Notre destin, en tant que peuple palestinien, est de résister.
La quête de Netanyahu pour une victoire absolue à Gaza est vouée à l’échec. Permettez-moi de citer ce sur quoi la plupart des analystes israéliens s’accordent : « La victoire que recherche Netanyahu est une illusion absolue, car il ne trouvera pas de combattant palestinien qui brandisse l’étendard de la reddition. »
De plus, l’histoire de la lutte du peuple palestinien montre clairement que sa Résistance transcende même la dimension factionnelle ou organisationnelle, mais prend plutôt des formes multiples.
Les agissements de l’occupation renforcent le besoin du peuple palestinien de posséder les cartes et les outils du pouvoir, face aux massacres massifs qu’elle commet, qui ont ravivé chez lui le besoin de vengeance et de respect de ses droits.
■ Comment évaluez-vous les positions des pays et des peuples arabes et islamiques au cours des deux dernières années ? Quel est votre point de vue sur le rôle de l’Iran, du Hezbollah et de l’Axe de la Résistance en général dans cette bataille ?
Tout d’abord, permettez-moi de saluer l’Axe de la Résistance, qui a combattu avec son sang et ses armes aux côtés du peuple palestinien.
Nous vivons dans l’ombre du martyre de Son Éminence Sayed Hassan Nasrallah, qui a vécu pour la cause palestinienne et est tombé en martyr sur la voie d’Al-Qods. Ces sacrifices expriment une destinée commune et un partenariat, avant tout éthique et moral, dans le cadre des visions stratégiques et politiques partagées qui nous unissent face à un ennemi unique qui nous cible collectivement et que nous ne pouvons affronter seuls.
Ce rôle, exprimé par l’Axe, traduit une vision politique qui a réuni les dirigeants martyrs de l’Axe de la Résistance, qui ont identifié le danger fondamental posé par l’ennemi sioniste et ont œuvré pour le vaincre en renforçant la résistance en Palestine et en créant des fronts de résistance solidaires dans tout le monde arabe.
Ces fronts restent actifs et efficaces, à commencer par notre cher Yémen.
Netanyahu comprend la gravité du rôle de l’Axe de la Résistance dans la bataille actuelle. C’est pourquoi il a recentré son récent discours sur l’Axe de la Résistance après avoir précédemment revendiqué sa victoire sur lui. Il a déclaré l’an 2026 comme l’année de son élimination. Cela exige une préparation et une vigilance accrues.
■ Si l’ennemi poursuit sa guerre contre Gaza et que les négociations échouent, quelles sont vos prochaines options stratégiques ?
Cette bataille est défensive pour les Palestiniens, et notre tâche consiste à contrecarrer les objectifs de l’ennemi et à accroître les coûts pour l’empêcher de poursuivre son agression.
Par conséquent, nous persévérerons dans cette lutte et déploierons tous les efforts politiques et sur le terrain pour faire face à l’agression.
Parallèlement, nous ne fermerons pas la porte à toute véritable tentative diplomatique visant à mettre fin à la guerre. C’est une position que nous partageons avec les factions palestiniennes et plusieurs pays arabes et islamiques impliqués dans le processus de médiation.
Le mouvement est conscient de la gravité de la phase actuelle, l’occupation cherchant une issue « décisive » avec les Palestiniens, tant sur le plan politique que militaire.
C’est pourquoi il s’efforce de mener un effort militaire mesuré, tout en veillant à préserver sa position politique et à éviter d’être pointé du doigt par les Palestiniens et les Arabes.
Il s’est également préparé à l’éventualité d’une poursuite et d’une extension de la confrontation, notamment en matière d’assassinats.
■ Quelle est votre vision de l’avenir de Gaza dans les années à venir ? Accepteriez-vous une trêve à long terme ? Pensez-vous que le projet de « solution à deux États », actuellement relancé, soit réellement réalisable, notamment face à la menace croissante d’annexion de la Cisjordanie ?
Il n’existe aucun effort réel pour relancer le projet de « la solution à deux États », car l’administration américaine et l’occupation israélienne ont refusé de s’engager dans les récentes initiatives.
L’administration américaine a réduit la reconnaissance d’un État palestinien par les pays européens.
De plus, la récente proposition américaine constitue un éloge de cette voie, tentant de saper le droit des Palestiniens à l’autodétermination par des formules politiques fondées sur la tutelle internationale, tout en excluant les Palestiniens des négociations et des prises de décision.
Ces propositions coïncident avec l’annexion en cours sur le terrain et la poursuite par l’occupation de ses projets de colonisation les plus dangereux, comme E1, ce qui témoigne de la menace existentielle qui pèse sur la cause palestinienne.
Par ailleurs, la menace d’une annexion ouverte et d’une imposition de souveraineté demeure présente, et rien dans les déclarations de Trump n’exclut la possibilité de légitimer de telles mesures dans les années à venir.
La Résistance est prête à accepter une trêve de cinq ans ou plus, dans le cadre d’une initiative globale visant à mettre fin à la guerre contre Gaza, à reconstruire et à mettre un terme à l’agression israélienne.
C’est une position que la Résistance palestinienne a adoptée depuis longtemps à différentes étapes du conflit avec le projet sioniste.