Depuis la fin de la dernière guerre et l’instauration du cessez-le-feu, Israël s’efforce d’imposer un nouvel équilibre des forces, fondé sur l’élimination du Hezbollah de deux dynamiques fondamentales : la situation interne au Liban et la confrontation avec Israël. En vain.
Cette incapacité à transformer ses succès tactiques et opérationnels en une victoire stratégique décisive en est la preuve. Par conséquent, Israël a adopté une stratégie d’accumulation de gains après la guerre, espérant qu’avec le soutien direct des États-Unis, il pourrait résoudre le conflit au Liban même, cette dynamique interne prenant le relais de l’ennemi.
Cependant, au-delà des simples aspirations et de la propagande, une question fondamentale se pose : pourquoi ces succès militaires et opérationnels ne se sont-ils pas traduits par une victoire politique et stratégique ? Et pourquoi le Hezbollah est-il resté un acteur clé de la situation interne et un obstacle à une victoire décisive face à Israël ?
Des succès sans victoire décisive.
La réponse exige d’abord d’analyser les conséquences de la guerre elle-même, puis d’examiner ce qui a suivi. Bien que l’ennemi ait remporté des succès opérationnels et de renseignement, la résistance, quant à elle, est parvenue à reprendre l’initiative durant le conflit. Depuis octobre, elle a adopté une stratégie de riposte calculée et progressive, culminant avec l’opération « Le dimanche des missiles ». Elle a ainsi empêché l’ennemi d’occuper la zone au sud du fleuve Litani et a maintenu sa résilience et sa cohésion malgré les immenses sacrifices consentis.
Tout ceci visait à empêcher l’ennemi de transformer ces revers en un accord qui consoliderait ses ambitions au Liban. C’est précisément là que l’échec a commencé : l’accord de cessez-le-feu ne comportait aucune clause obligeant la résistance à se démanteler, à désarmer ou à renoncer à son rôle défensif.
Parallèlement, des forces hostiles à la résistance au Liban ont lancé une campagne politique et médiatique pour promouvoir l’idée que l’accord légitime l’agression israélienne et consacre l’acceptation du désarmement par la résistance. Or, ce discours contredit, en premier lieu, les termes mêmes de l’accord. Plus important encore, si l’accord avait réellement inclus de telles dispositions, Israël n’aurait pas eu besoin de conclure un accord séparé avec les États-Unis.
Ainsi, Israël n’a signé aucun accord qui aurait mis fin au conflit selon ses conditions, ni n’a fondamentalement modifié les règles du jeu. Au contraire, il s’est retrouvé confronté à un cessez-le-feu fragile, reconnaissant implicitement que la force, aussi intense soit-elle, était insuffisante pour remporter une victoire décisive. Autrement dit, Israël est parvenu à infliger des dommages, mais n’est pas parvenu à mettre fin au conflit. Cette distinction n’est ni un détail mineur ni une question technique, mais bien une différence fondamentale entre un succès tactique et opérationnel et un échec stratégique global.
La résistance n’est pas exclue de l’équation
Après l’échec de la victoire militaire décisive, la stratégie s’est recentrée sur une tentative de transformer l’affaiblissement du Hezbollah en un processus cumulatif visant à son élimination, ou du moins à sa neutralisation. Cependant, cette stratégie s’est heurtée à la réalité : y parvenir exige soit un effondrement interne de la structure adverse, soit l’imposition d’une nouvelle réalité la rendant incapable de se poursuivre. Aucun de ces scénarios ne s’est concrétisé.
Plus important encore, le parti est parvenu à empêcher ses adversaires d’exploiter l’issue de la guerre et les bouleversements régionaux pour obtenir pour Israël ce qu’il n’avait pas réussi à accomplir militairement. Au lieu de dégénérer en troubles internes, la situation s’est enlisée dans une impasse, chacun comprenant que le coût d’une tentative d’élimination de la résistance était insoutenable pour n’importe quel parti. C’est là l’une des clés de l’échec d’Israël : son incapacité à transformer sa supériorité militaire en une véritable opportunité politique.
Sur le plan intérieur, Israël, de concert avec les États-Unis, a parié sur l’issue de la guerre pour provoquer un changement stratégique conduisant l’État libanais à désarmer la résistance. Cependant, cette analyse négligeait la différence cruciale entre prendre une décision et être capable de la mettre en œuvre dans le contexte de la dynamique interne existante. Une telle décision se heurterait inévitablement à des contraintes structurelles difficiles à surmonter : l’impossibilité de vaincre définitivement la résistance, le soutien continu de sa base populaire, l’unité des forces de résistance autour de leur ligne de conduite et la nature du système libanais, fondé sur des équilibres internes délicats qui freinent toute tentative d’imposition coercitive.
Dans ce contexte, le Hezbollah n’avait pas besoin de recourir à la force pour empêcher la mise en œuvre d’une telle décision, car la forte unité nationale entre les deux principaux blocs politiques fournissait un message politique et un soutien populaire suffisants pour assurer une dissuasion interne. Ainsi, l’État libanais a compris que tenter d’imposer par la force une décision reflétant les intérêts et les ambitions d’Israël risquait d’embraser le pays et que ne pas l’appliquer restait moins coûteux qu’une confrontation. Sur ce point, le pari d’Israël s’est une fois de plus soldé par un échec.
Gestion à la place de l’effondrement
L’un des principaux arguments du discours anti-résistance consiste à faire croire que la réticence de la résistance à riposter aux attaques témoigne d’une perte de légitimité et de soutien populaire. Or, cette approche occulte le fait que la responsabilité de protéger la souveraineté et de prévenir toute agression incombe avant tout à l’État, et que le rôle historique de la résistance, qui a comblé le vide laissé par l’absence d’État, ne remet pas en cause ce principe.
Par ailleurs, une baisse du niveau de dissuasion n’implique pas nécessairement une perte de capacités de défense face à une éventuelle occupation. La retenue du Hezbollah dans sa riposte résulte d’une analyse coûts-avantages au sens stratégique le plus large, et non d’un signe de faiblesse ou d’effondrement.
Un dilemme se dessine donc : Israël frappe sans perspective de fin claire, tandis que le Hezbollah, jusqu’à présent, prend soin d’éviter une escalade majeure et gère la situation selon une approche réfléchie, fondée sur le respect de ses principes, le maintien d’une dissuasion relative, la préservation de la stabilité intérieure et la résistance aux pressions et à l’usure, tout en poursuivant ses efforts de redressement et de reconstruction.
L’administration américaine, à l’instar d’Israël, se heurte à une réalité intérieure incontournable : les rapports de force au Liban ont considérablement restreint ses options. La phase à venir pourrait être marquée par une intensification de la pression sur le terrain ou par des intimidations politiques, dans le cadre d’une stratégie visant à épuiser les voies diplomatiques avant toute décision décisive. Il est toutefois prématuré de tirer des conclusions de ces indicateurs, tant que l’équilibre des forces n’a pas fondamentalement basculé.
Le plan israélien reposait également sur l’hypothèse que l’ampleur des destructions et des pertes entraînerait un changement dans la base de soutien du Hezbollah. Mais la réalité fut plus complexe. Oui, la lassitude, la colère et les critiques sont présentes, mais cela ne s’est pas traduit par un rejet collectif de la résistance. Malgré son épuisement, la base de soutien ne perçoit aucune alternative capable de la protéger ou de combler le vide, et elle comprend qu’abandonner la résistance signifierait mettre en péril le Liban et son existence même.
C’est là un autre échec : Israël a réussi à affaiblir la base de soutien, mais n’a pas réussi à rompre le lien qui la lie à la résistance, ni à créer un environnement politique et social alternatif capable de jouer le même rôle.
En fin de compte, l’incapacité d’Israël à éliminer le Hezbollah ne tient pas à un manque de puissance ou à des moyens insuffisants, mais plutôt à une mauvaise appréciation de la nature de son adversaire. Israël a négligé le fait que le Hezbollah incarne la volonté d’un peuple et possède une structure cohérente fondée sur la résilience humaine, et non sur de simples infrastructures, et que son approche défensive a accumulé des succès historiques et stratégiques au fil de décennies de conflit. Cet échec a révélé une réalité : la force militaire, aussi redoutable soit-elle, est insuffisante à elle seule pour briser la volonté d’un peuple déterminé à défendre son existence et son avenir.
Ainsi, le Hezbollah n’a pas été éliminé, mais a réussi à empêcher ses adversaires de remporter une victoire décisive. Dans ce type de conflit, empêcher une victoire décisive constitue en soi un succès stratégique, car cela transforme la supériorité de l’adversaire en une impasse et crée des dynamiques qui restent, encore aujourd’hui, difficiles à démanteler.
Par Ali Haydar : chroniqueur expert des questions israéliennes du journal al-Akhbar
Source: Média



