Washington a appelé les deux parties au « calme » et au « dialogue », alors qu’un blocus aérien devait commencer à toucher le Kurdistan irakien vendredi, Erbil refusant d’obéir à Bagdad après le « oui » massif de ses citoyens au référendum sur l’indépendance.
« Nous voudrions voir un peu de calme de tous les côtés », a insisté la porte-parole du département d’Etat, Heather Nauert, jeudi à Washington, rappelant que « les Etats-Unis ne veulent rien faire qui aggraverait les tensions ».
« Nous pensions que (ce référendum de lundi) serait déstabilisateur, malheureusement c’est ce qui se produit, c’est déstabilisateur », a poursuivi la porte-parole de la diplomatie américaine, soulignant que « les Etats-Unis sont disposés à faciliter une conversation » entre Bagdad et Erbil, la capitale de la province autonome du Kurdistan irakien.
Mais le ton n’est pas à la conciliation entre les deux parties.
« Il n’y a aucune négociation, ni officielle, ni secrète, avec les responsables kurdes. Et il n’y en aura pas tant qu’ils ne déclareront pas les résultats du référendum caducs, et ne remettront pas aux autorités de Bagdad leurs postes-frontières, leurs aéroports et les régions disputées où ils ont déployé leurs forces », et notamment la province multi-ethnique de Kirkouk, riche en pétrole.
Fuite des étrangers
Mettant son ultimatum de mardi à exécution, le pouvoir central irakien a confirmé la suspension à partir de vendredi 18h00 (15h00 GMT) de tous les vols internationaux en provenance du Kurdistan ou vers ses deux aéroports de Erbil et Souleimaniyeh.
Il s’agit de la première mesure de rétorsion concrète de Bagdad après le « oui » massif à l’indépendance des Kurdes irakiens lundi, à près de 93%. Selon la commission électorale, le taux de participation s’est élevé à 72%.
Le scrutin a été rejeté à la fois par l’Irak et les autres pays voisins comptant des minorités kurdes, l’Iran, la Turquie ou la Syrie.
Les députés irakiens ont appelé à deux reprises le Premier ministre Haider al-Abadi à envoyer l’armée dans les zones disputées avec les Kurdes. Mais celui-ci s’est gardé de se prononcer dans l’immédiat.
« Quant aux vols intérieurs, la décision sera prise après vendredi », a déclaré jeudi un haut responsable de l’Aviation civile à Bagdad, dont dépend le trafic au Kurdistan.
Cette menace de fermeture totale des frontières aériennes de la région a poussé de nombreux étrangers à se précipiter dans les avions encore disponibles, pour ne pas rester coincés.
Une fermeture prolongée du trafic aérien aurait des conséquences potentiellement dramatiques, un grand nombre d’étrangers travaillant au Kurdistan. Or ces étrangers entrent au Kurdistan avec un visa délivré par les autorités kurdes, visa non reconnu par Bagdad, et ils ne peuvent donc se rendre ailleurs en Irak.
‘Une punition collective’
« Nous avons ici des consulats, des compagnies et du personnel international, cela va affecter tout le monde. Ce n’est pas une bonne décision », a regretté jeudi auprès de l’AFP la directrice de l’aéroport d’Erbil, Talar Faiq Saleh.
« Nous avons aussi un grand nombre de réfugiés qui utilisent l’aéroport, et nous étions un pont entre la Syrie et l’ONU pour l’envoi de l’aide humanitaire. Et il y a aussi des forces de la coalition (internationale antijihadistes), ce qui veut dire que l’aéroport servait pour tout », ajoutait-elle.
Le porte-parole de la Coalition internationale, le colonel Ryan Dillon, a souligné de son côté l’impact de ce référendum sur les opérations en cours contre les jihadistes takfiristes de Daech.
« L’objectif, qui était comme un rayon laser dirigé contre l’EI, ne l’est plus à 100% », a-t-il regretté au cours d’une téléconférence au Pentagone jeudi.
Ne montrant aucune volonté de céder, le gouvernement du Kurdistan irakien a une nouvelle fois rejeté jeudi les décisions prises par Bagdad à son encontre, dénonçant une « punition collective ».
L’or noir kurde en question
Mais ces mesures de rétorsion pourraient bientôt dépasser le cadre irakien.
Jeudi, le Premier ministre turc Binali Yildirim a demandé la tenue d’un sommet Ankara-Téhéran-Bagdad afin de coordonner les mesures à prendre.
Après le transport aérien, l’autre moyen de pression sur les autorités kurdes est le pétrole, et la clef se trouve en Turquie.
Ankara est le premier concerné par la question, 550.000 des 600.000 barils produits quotidiennement par le Kurdistan irakien étant exportés via un oléoduc reliant Kirkouk au site turc de Ceyhan (sud). Si la Turquie ferme le robinet menant à ce terminal, le Kurdistan serait asphyxié car son économie dépend quasi-exclusivement de l’or noir.
Pour le moment, la Turquie a certes menacé mais n’a encore pris aucune mesure concrète. Mais en attendant, M. Yildirim a réaffirmé le soutien de son pays au gouvernement irakien.
« Aux postes-frontières, notre interlocuteur sera l’Irak. Dans les aéroports, notre interlocuteur sera Bagdad et dans toutes les activités économiques, notre interlocuteur direct sera le gouvernement central irakien », a dit le Premier ministre turc, sans mentionner spécifiquement la question du brut du Kurdistan.