Les changements majeurs ne vont jamais sans instabilité, conflit et crise possible. Le changement radical opéré par l’Arabie Saoudite pour diversifier son économie afin de s’affranchir du statut d’État rentier basé sur le pétrole ne se déroule pas aussi harmonieusement que prévu.
Le retard persistant de l’introduction en bourse d’Aramco, les giga-projets en difficulté commandés par le fonds souverain PIF et les changements dans le tissu social pourraient miner la position du Prince héritier Mohammed bin Salman. Les conservateurs et les extrémistes religieux pourraient se diriger vers une épreuve de force, si la mise en œuvre de la Vision saoudienne 2030 présente des faiblesses.
L’opposition royale interne existe toujours, mais jusqu’à présent, MBS a été en partie sauvé par le soutien total de son père, le roi Salman. Au vu de la situation sur le terrain, un affrontement se profile à l’horizon… un autre Ritz Carlton est-il en préparation ?
Les critiques internationales sur les changements spectaculaires en cours à l’intérieur du Royaume sont de plus en plus nombreuses. Les médias occidentaux semblent avoir choisi MBS comme l’une de leurs principales cibles, car les articles négatifs sur l’impact de Saudi Vision et les controverses en cours sur les droits humains et les libertés religieuses se suivent les uns après les autres sans discontinuer. Ces critiques sont en grande partie infondées, car il ne faut pas sous-estimer les changements dans le tissu social de l’Arabie Saoudite et la position des clercs conservateurs wahhabites, surtout si l’on adopte une perspective occidentale. Faire entrer le Royaume dans le XXIe siècle ne se fera pas sans instabilité interne, sans revers et sans problèmes éventuels.
Changer un tissu social patriarcal monarchiste et conservateur, principalement soutenu par un Etat rentier avec un système économique basé sur la redistribution, est difficile et douloureux. MBS devra faire face à l’opposition externe et interne, tout en relevant les défis économiques et financiers. Changer une société de l’intérieur est un défi majeur pour tout dirigeant, mais si l’on considère la situation saoudienne, cela n’est possible qu’en se faisant des ennemis (à court terme) de tous côtés.
Ces deux derniers jours, plusieurs grands journaux ont fait état d’une nouvelle lutte perçue à l’intérieur de la famille royale. Des reportages de médias, comme Al Jazeera, Al Khaleej ou d’autres, affirment qu’une lutte de pouvoir est en cours au sein des échelons supérieurs de la Maison des Saoud, ou même dans la branche Salman.
Un clivage est signalé entre le roi Salman et son frère, le prince Ahmad, qui aurait critiqué la façon dont le royaume aborde la guerre au Yémen. Selon les médias, le prince Ahmad aurait adressé ses critiques au roi et au prince héritier, qui ont été les principaux partisans de l’implication militaire saoudienne et américaine dans la guerre au Yémen. Les médias saoudiens ont réfuté ces déclarations, affirmant que les citations du prince étaient inexactes. Cette situation ne met pas en danger la vie du roi Salman et de MBS, mais des mesures ont déjà été prises pour réprimer l’opposition potentielle de l’intérieur.
Ces développements ne sont pas nouveaux. L’opposition interne ou l’insatisfaction à l’égard du rôle et du pouvoir de MBS, que plusieurs membres de la famille royale considèrent comme trop jeune, trop inexpérimenté ou trop agressif et émotif, ont toujours existé. Tant que le roi Salman sera l’héritier et le souverain, aucun changement ne sera fait, mais la vraie question est de savoir ce qui se passera lorsque le roi mourra ou abdiquera dans le futur.
Même si MBS a eu carte blanche pour consolider ses pouvoirs, en partie en nommant des partisans de confiance ou des membres directs de sa famille, d’autres branches de la Maison de Saoud attendent toujours de saisir toute occasion de revenir sous les feux de la rampe. Une nuit des longs couteaux n’est pas encore imminente, mais rien ne peut encore être exclu.
Dans le même temps, MBS devra faire face à une forte opposition de la part de l’establishment religieux, dont une partie est encore alignée sur certains des membres les plus conservateurs de la famille royale. MBS, et le Roi, continuent à marcher sur une très fine ligne, dans leur stratégie pour retirer lentement du pouvoir les conservateurs religieux ou les extrémistes purs et durs, sans forcer ces derniers à descendre dans la rue.
Les retombées de l’approche Ritz-Carlton fin 2017, lorsque des dizaines d’hommes d’affaires et de princes saoudiens de premier plan ont été arrêtés pour fraude, se font toujours sentir. Les critiques occidentales à l’égard de ce qui est perçu comme une approche antilibérale des droits de la personne ou des droits des femmes sont également devenues un problème, car les conservateurs n’attendent plus que de pouvoir s’en prendre à MBS, qui se laisse influencer par la pression internationale.
Pour le prince héritier, la stratégie actuelle qui consiste à arrêter les forces libérales très en vue, en particulier les femmes, doit être considérée comme une feuille de vigne destinée aux conservateurs, ce qui montre que MBS tient toujours compte de leur opinion. Entre-temps, le prince héritier continue à arracher le pouvoir politique aux oulémas wahhabites. En cas de confrontation directe, MBS ne sera pas en mesure de renforcer sa propre position, ce qui le rend vulnérable aux réactions directes et éventuellement violentes.
Les mesures de MBS perçues comme antidémocratiques doivent être évaluées dans le contexte conservateur du Royaume. MBS a du mal à garder toutes les balles en l’air. Certaines d’entre elles sont déjà tombées au sol mais ont rebondi, comme l’introduction en bourse d’Aramco ou certains des Giga Projets. Les délais très courts fixés par MBS et ses conseillers se sont révélés trop optimistes. Le régime actuel devra se pencher de nouveau sur certains d’entre eux, tout en déclarant aux jeunes partisans saoudiens qu’il ne faut pas s’attendre à des résultats dans les années à venir. L’optimisme est toujours là, mais pourrait facilement se transformer en une opposition réactionnaire totale si la douleur ressentie aujourd’hui est beaucoup plus forte que les gains futurs.
L’Occident devrait également se rendre compte que dans « le nouveau royaume » , la libéralisation de l’économie, l’inclusion des femmes ou l’ouverture au marché mondial ne signifieront jamais la fin de la position de la Maison des Saoud. Tous les membres, y compris MBS ou son père, prendront toutes les mesures nécessaires pour empêcher une implosion de la famille royale. Des changements seront apportés, des changements qui, pour l’Arabie Saoudite, sont énormes, mais qui n’éroderont jamais la position de la Maison des Saoud. Aux yeux de MBS et de ses partisans royaux, stabiliser ou saper le pouvoir d’une partie de l’élite et du clergé conservateurs est plus important que la liberté des individus.
Les deux prochains mois seront cruciaux. L’opposition au sein de plusieurs branches de la Maison des Saoud existe toujours. Les conservateurs et les clercs sont mécontents de la perte de pouvoir et d’influence. MBS aura une autre chance de changer le Royaume par le succès de l’initiative Future Investment Initiative 2018 ou les progrès de l’introduction en bourse d’Aramco ou des gigaprojets. Si aucune réussite spectaculaire n’est bientôt enregistrée, la durée d’attention positive des jeunes Saoudiens pourrait s’estomper, voire se transformer en une nostalgie du passé. Un coup d’État potentiel n’est jamais loin, comme on l’a vu dans le Royaume. Des événements très médiatisés pourraient être le précurseur d’une telle initiative, si l’occasion se présente.
Il est clair pour MBS, et ses partisans, que rien n’est gratuit à l’heure actuelle pour personne. Il faut être capable de jongler avec un grand nombre de balles, de tenir les extrémistes et les conservateurs à distance, tout en changeant à jamais l’économie et le tissu social. A l’heure actuelle, la stabilité interne l’emporte sur le soutien mondial en faveur de l’avenir de MBS. Les changements sont douloureux, mais nécessaires. L’avenir de MBS en dépendra.
Par Cyril Widdershoven
Source : Oilprice.com; Traduction Avic – Réseau International