Le Premier ministre libanais Hassan Diab a annoncé lundi soir la démission de son gouvernement à la suite du « séisme » provoqué par l’explosion meurtrière au port de Beyrouth qui a fait au moins 160 morts.
Le chef du gouvernement, qui se revendique comme indépendant et à la tête d’une équipe de technocrates, a rendu la classe politique traditionnelle au pouvoir depuis 30 ans responsable de ses échecs et du drame du 4 août, lorsque 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium stockées au port de la capitale depuis des années ont provoqué la gigantesque explosion.
« Aujourd’hui, j’annonce la démission de ce gouvernement », a déclaré Hassan Diab dans un discours télévisé adressé aux Libanais.
Il a fustigé la « corruption » ayant conduit selon lui le pays à « ce séisme qui a frappé le pays, avec toutes ses conséquences humanitaires, sociales et économiques ».
« La catastrophe qui a frappé les Libanais au cœur (..) est arrivée à cause de la corruption endémique en politique, dans l’administration et dans l’Etat », a dit le Premier ministre.
« J’avais dit précédemment que le système de corruption est profondément enraciné dans tous les recoins de l’État; néanmoins j’ai découvert que le système corrompu est plus grand que l’État, et que ce dernier est contraint par ce système et ne peut l’affronter ou s’en débarrasser », a ajouté amèrement M. Diab, un professeur d’université qui a formé son gouvernement en janvier.
La démission est intervenue à l’issue d’une réunion du cabinet ministériel qui s’était tenu lundi après-midi, au Sérail, au cours de laquelle la plupart de ses membres s’étaient prononcés en faveur d’une démission, avait déclaré à l’AFP Vartiné Ohanian, ministre de la Jeunesse et des Sports.
Pendant la journée des tentatives avaient été déployées pour dissuader Diab de démissionner mais quatre ministres avaient déjà claqué la porte depuis dimanche.
La veille , lors d’une intervention télévisée, alors que les manifestations battaient leur plein dans le centre-ville, il avait annoncé qu’il ne resterait au pouvoir que deux mois et allait proposer à la prochaine réunion ministérielle un projet de loi pour raccourcir le mandat du parlement. Une revendication clamée par les manifestants ce jour-là. Mais son initiative prise sans consultations préalables avec les parties qui le soutenaient avait été mal vue par ces dernières. Et surtout par le président de la chambre Nabih Berri qui s’est senti outrepassée. Irrité, ce dernier a décidé de répondre à la requête de certains blocs parlementaires du 14 mars qui réclamaient une séance parlementaire extraordinaire destinée à interroger le gouvernement sur l’explosion du port. Ce qui a vexé les membres du cabinet ministériel qui pressentaient que les caciques du 14 mars qui ont contrôlé le pays depuis la fin de la guerre civile voulaient leur adosser la responsabilité de l’effondrement qu’ils ont causé par trente années de politiques erronnées er corrompues.
« un scénario bien concocté qui se veut adosser à un gouvernement de 6 mois leur corruption, leur négligence et leur hypocrisie… nous ne permettrons pas que les gens honnêtes soient des boucs émissaires », a taclé la ministre de l’immigration Gada Chreim, résumant pertinemment la situation.
C’est alors que Hassane Diab a tranché définitivement la question de la démission du gouvernement, a rapporté la correspondante d’al-Manar.
Dans une première réaction à cette démission, l’ancien chef de la Sureté générale le député Jamil Sayed a écrit sur son compte twitter :
«La mafia de l’argent et des milices avait renversé le président Sélim al-Hoss après avoir accusé son gouvernement de fiasco.
Mon père avait alors dit : entre un dirigeant honnête avec qui il aura faim, et un dirigeant voleur qui lui donnera à manger, le peuple choisira le voleur. Les voleurs reviendront mais ils ne pourront pas donner à manger au peuple. Le peuple les mangera ».
Ci-dessous l’allocution intégrale du Premier ministre Hassane Diab
Nous sommes toujours sous le choc de la tragédie qui a frappé le Liban. Ce désastre qui a frappé les Libanais au cœur, est le produit d’une corruption chronique rampante au niveau politique, administratif et étatique.
J’ai dit précédemment que le système de corruption est profondément enraciné dans tous les recoins de l’État; néanmoins j’ai découvert que le système corrompu est plus grand que l’État, et que ce dernier est contraint par ce système et ne peut l’affronter ou s’en débarrasser.
Un des nombreux exemples de corruption a explosé dans le port de Beyrouth, et la calamité s’est abattue sur le Liban; mais les cas de corruption sont répandus dans le paysage politique et administratif du pays; d’autres désastres cachés dans de nombreux esprits et entrepôts, et qui constituent une grande menace, sont protégés par la classe qui exerce la mainmise sur le sort du pays, menace la vie des gens, falsifie les faits, survit grâce aux séditions et exploite le sang des libanais pendant les périodes d’abandon qui sont devenus un modèle qui se répète selon les intérêts, les impulsions, les calculs et les dépendances fluctuantes.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une grande tragédie, et toutes les forces soucieuses de préserver le pays et les intérêts du peuple étaient censées coopérer pour surmonter cette épreuve, en gardant le silence pour marquer le deuil des martyrs, en respectant le chagrin des personnes endeuillées, des parents, des frères et sœurs et des orphelins, en aidant les gens, en pansant leurs plaies, en leur fournissant un abri et en venant en aide à ceux qui ont perdu leurs moyens de subsistance.
L’ampleur de la tragédie est trop grande pour être décrite; néanmoins, certains vivent à une autre époque; leur seul but est de marquer des points politiques, de livrer un discours électoral populiste et de démolir ce qui reste de la présence de l’État.
Ils étaient censés avoir honte, car leur corruption a produit cette calamité qui a été cachée pendant sept ans, et Dieu sait combien de calamités ils cachent sous le manteau de leur corruption.
Ces gens ont l’habitude de changer de position pour falsifier les faits, alors qu’il faut les changer, car ils constituent la véritable tragédie du peuple libanais.
Ils ont beaucoup changé dans le passé, à chaque fois que l’opportunité se présentait pour se débarrasser de leur corruption.
Ils n’ont pas bien lu la Révolution du 17 octobre organisée par les Libanais. Cette révolution était contre eux, mais ils ne l’ont pas bien compris. Ils ont continué leurs pratiques et leurs calculs, et ils ont pensé qu’ils pourraient diluer les revendications du peuple libanais plaidant en faveur du changement, d’un État juste et fort, et d’un pouvoir judiciaire indépendant, appelant à la fin de la corruption, du gaspillage et des vols, à la fin des politiques financières qui ont vidé le trésor de l’État, gaspillé les dépôts de la population et placé le pays sous le joug de la dette, ce qui a provoqué cet effondrement financier, économique, social et des moyens de subsistance.
Mais le plus grand paradoxe est que, plusieurs semaines après la formation de ce gouvernement, ils ont tenté de jeter leurs péchés sur le gouvernement et de le tenir responsable de l’effondrement, du gaspillage et de la dette publique …
Ils n’ont pas honte!
Ce gouvernement a déployé des efforts géants pour tracer une feuille de route pour sauver le pays.
Chaque ministre au sein de ce gouvernement a fait de son mieux, car nous tenons à préserver le pays, son avenir et celui de nos enfants.
Nous n’avons aucun intérêt personnel; tout ce qui compte pour nous, c’est de sauver le pays; nous avons enduré de nombreuses fausses accusations et campagnes pour sauver le pays. Mais nous avons refusé de nous laisser entraîner dans des polémiques futiles, car nous voulions travailler. Néanmoins, les voies furieuses n’ont pas arrêté leurs tentatives de falsification des faits afin de se protéger et de dissimuler leurs crimes.
Nous avons porté la demande de changement du peuple libanais. Mais un mur très épais et épineux nous sépare du changement; un mur fortifié par une classe qui recourt à toutes les méthodes sales pour résister et préserver ses acquis, ses positions et sa capacité à contrôler l’État.
Nous avons combattu férocement et honorablement, mais cette bataille est inégale. Nous étions seuls et ils étaient tous contre nous. Ils ont utilisé toutes leurs armes, déformé les faits, falsifié les preuves, lancé des rumeurs, menti aux gens, commis de petites et grandes débauches … Ils savaient que nous représentons une menace pour eux, et que le succès de ce gouvernement signifie un réel changement au niveau de la classe dirigeante de longue date dont la corruption a asphyxié le pays.
Aujourd’hui, nous sommes arrivés à ce point; nous sommes confrontés à un tremblement de terre qui a frappé le pays, avec toutes ses répercussions humanitaires, sociales, économiques et nationales. Notre première préoccupation est de faire face à ces répercussions, parallèlement à une enquête rapide qui définit les responsabilités et empêche l’application de toute limitation statutaire à la catastrophe.
Aujourd’hui, nous lançons un appel au peuple qui demande de tenir les auteurs de ce désastre dissimulé depuis sept ans pour responsables, qui prône un réel changement, qui demande le passage de l’état de corruption, de gaspillage, de courtage et de vol, à un État fondé sur l’état de droit, la justice et la transparence, un État qui respecte ses citoyens.
Face à cette réalité, nous prenons du recul, pour nous tenir aux côtés du peuple, pour mener la bataille du changement avec eux. Nous voulons ouvrir la porte au sauvetage national, un sauvetage auquel les Libanais participeront.
Par conséquent, j’annonce aujourd’hui la démission de ce gouvernement.
Que Dieu protège le Liban… Que Dieu protège le Liban… Que Dieu protège le Liban!
Vive le Liban!
Source: ANI
Source: Divers