300 milliards d’euros, c’est le montant du projet européen qui vise à concurrencer la Chine dans le monde. De l’Afrique aux Balkans en passant par l’Asie centrale, Pékin a lancé une vraie guerre économique et Bruxelles ne compte pas se laisser faire.
L’Union européenne casse sa tirelire pour faire face Pékin. La Commission européenne a présenté le 1er décembre un plan global d’investissement. Baptisé « Global Gateway » (portail mondial en français), ce projet vise à débourser plus de 300 milliards d’euros de fonds publics et privés d’ici à 2027 dans des projets d’infrastructures en dehors de l’UE, dans les pays voisins des Balkans occidentaux, en Afrique, mais aussi en Amérique du Sud ou en Asie.
Cette nouvelle stratégie européenne s’inscrit dans le sillage de la réunion du G7 qui s’était tenue en Cornouailles en juin dernier. L’Allemagne, le Canada, les États-Unis, la France, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni et l’UE avaient décidé d’investir 100 milliards de dollars par an dans les infrastructures des pays défavorisés en Afrique, en Asie ou encore en Amérique latine pour contrer les « routes de la soie » chinoises.
« Cela n’a pas de sens que l’Europe construise une route parfaite entre une mine de cuivre sous propriété chinoise et un port également sous propriété chinoise. Nous devons nous montrer intelligents », annonçait mi-septembre Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, dans son discours sur l’état de l’Union.
Pékin: 8 billions de dollars dans les infrastructures
« Global Gateway, c’est une manière d’encadrer et de contenir l’influence chinoise », a déclaré un diplomate européen, avant d’ajouter: « Et cela, Washington apprécie ». L’Union européenne emboîterait donc le pas aux États-Unis dans sa guerre économique contre Pékin. « C’est à la mode, il y a des plans tous azimuts », ironise Éric de la Maisonneuve, général de division (2S) et ancien professeur à l’Institut de Diplomatie de Pékin.
« Tous les pays s’y mettent pour concurrencer la Chine sur ce domaine. Le Royaume-Uni l’a fait, les États-Unis l’ont fait, c’est au tour de l’Union européenne. Elle ne veut pas laisser le monopole des investissements en infrastructures à Pékin », souligne-t-il au micro de Sputnik.
L’Administration Biden a en effet lancé en mars dernier un plan de 2.000 milliards de dollars pour reconstruire et moderniser les infrastructures américaines. Une manne qui profitera aussi à d’autres pays. Malgré cette enveloppe colossale, les États-Unis ont un train de retard sur Pékin.
Rien qu’en 2020 en Chine et dans le reste du monde, les investissements chinois dans les infrastructures, les routes, les ferries, les ports et les bâtiments ont totalisé environ huit billions, soit 8.000 milliards de dollars. Sur la même période, Washington n’a déboursé que 146 milliards de dollars. Mais pour les Européens, la question serait encore plus cruciale.
« Les Chinois sont aux portes de l’Europe avec des investissements massifs dans les Balkans et notamment dans le Monténégro », précise Éric de la Maisonneuve.
À travers son projet de nouvelles routes de la soie lancée en 2013, la Chine s’efforce de renforcer ses liens avec les pays balkaniques. « Ces nombreux projets endettent les pays et permettent à Pékin de capitaliser dessus », estime le spécialiste de la Chine. Les difficultés financières de ces pays peuvent en effet les conduire à rétrocéder à Pékin certains projets en cours. C’est notamment le cas du port de Bar au Monténégro.
Le « rouleau compresseur » chinois dans les Balkans
Podgorica avait obtenu en 2014 un prêt de la banque chinoise Exim d’environ 944 millions de dollars, remboursable sur 14 ans, pour financer une autoroute reliant la Serbie à l’Adriatique. Pour l’heure, le petit pays de 600.000 habitants peine à rembourser et a même sollicité l’aide européenne et américaine. En effet, en cas de défaut de paiement, une commission d’arbitrage chinoise pourrait contraindre le Monténégro à céder à Pékin la gestion d’infrastructures majeures.
« L’Europe ne peut pas laisser le monopole des infrastructures à la Chine, mais on a délaissé cette région au profit de Pékin, c’est un rouleau compresseur dans la région », s’inquiète Éric de La Maisonneuve.
Et c’est peu dire. Les autorités chinoises se focalisent surtout sur les installations portuaires de la zone. En Albanie, Pékin s’est concentré sur les ports de Durrës et de Vlorë. En Croatie, pourtant membre de l’Union européenne, l’Empire du Milieu a obtenu en 2020 le contrat de construction d’un nouveau terminal dans le port de Rijeka. De surcroît, la Chine construit des liaisons ferroviaires qui traversent la Croatie, d’autres pays de l’Adriatique et des États d’Europe centrale.
La concurrence sino-européenne se joue également sur le continent noir. « L’Afrique a été sinisée contre son gré », souligne Éric de la Maisonneuve. Au cours du 8e Forum sur la coopération sino-africaine qui s’est tenu à Dakar le 30 novembre dernier, Pékin a mis la main à la poche pour rassurer ses partenaires africains. Un milliard de doses de vaccin anti-Covid-19, 10 milliards de dollars d’investissements d’entreprises chinoises pour industrialiser l’Afrique, 300 milliards de dollars d’importations supplémentaires de produits agricoles africains et l’annulation de la dette des pays les moins avancés pour 2021. Rien que ça!
À Pékin, c’est open-bar pour l’Afrique
Pour l’heure, les Vingt-Sept restent le premier partenaire commercial du continent africain. En 2018, les échanges UE-Afrique avoisinaient les 235 milliards d’euros en 2018 contre 125 milliards pour la Chine. L’Union européenne reste de surcroît le premier pourvoyeur d’aide publique au développement africain, avec environ 20 milliards d’euros par an.
« On perçoit souvent l’Afrique comme un continent acquis à la Chine, mais c’est faux. C’est loin d’être manichéen. La Chine est également en difficulté en Asie centrale », précise le consultant sur les questions internationales.
Et c’est bien là que l’Union européenne compte investir. L’Europe est déjà le premier partenaire économique du Kazakhstan, avec 57%des investissements étrangers en 2018. Les autres pays de la région sont divisés en deux aires d’influences: « Pékin est confronté à l’influence de Moscou dans ses anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale », résume Éric de la Maisonneuve.
Alors certes, « la Chine a pris de l’avance », constate notre interlocuteur. Mais peut-être avec trop d’empressement:
« Pékin a eu les yeux plus gros que le ventre avec des ambitions démesurées, l’Europe pourrait ainsi combler les failles et la concurrencer. »
Les moyens sont, semble-t-il, sur la table. Mais l’Europe sait-elle encore guerroyer?
Source: Sputnik