La Libye s’est retrouvée le jeudi 10 février, après un vote controversé du Parlement, avec deux Premiers ministres, dont l’un a vu son convoi visé par des tirs, signe d’une exacerbation des tensions dans un pays déjà miné par les luttes de pouvoir et le chaos politique.
Dans ce qui s’apparente à un coup de force institutionnel du camp de l’Est libyen contre celui de Tripoli, le Parlement siégeant à Tobrouk (est) a désigné l’influent ex-ministre de l’Intérieur Fathi Bachagha pour remplacer Abdelhamid Dbeibah à la tête du gouvernement intérimaire.
A son arrivée jeudi soir à l’aéroport de Mitiga, près de la capitale, en provenance de Tobrouk, M. Bachagha a promis « d’ouvrir un nouveau chapitre », en « tendant la main à tous ».
Il a ensuite « remercié M. Dbeibah pour le travail accompli pendant cette période difficile », en se disant « confiant du souci du gouvernement à respecter les principes démocratiques ». Cet ancien pilote de chasse dispose de deux semaines pour former un gouvernement et le soumettre au Parlement.
Reste à savoir si M. Dbeibah acceptera de céder le pouvoir, alors même qu’il a assuré à plusieurs reprises qu’il ne le céderait qu’à un gouvernement sorti des urnes.
Dans la nuit de mercredi à jeudi, des tirs ont visé son convoi à Tripoli, sans faire de victimes, selon le ministère de l’Intérieur.
La Libye s’est enlisée dans une crise politique majeure après la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011 avec des rivalités entre les principales régions, les luttes de pouvoir et les ingérences étrangères.
En pleine guerre civile, le pays avait été dirigé entre 2014 et 2016 par deux Premiers ministres rivaux à l’Ouest et à l’Est.
Après des années de conflits armés, le gouvernement Dbeibah a été mis sur pied il y a un an, sous l’égide de l’ONU, pour mener la transition jusqu’aux élections présidentielle et législatives, prévues en décembre dernier et reportées sine die.
Ce report avait été décidé sur fond de désaccords persistants entre un pouvoir à l’Est, incarné par le Parlement et le maréchal Khalifa Haftar, et un autre à l’Ouest, autour du gouvernement de Tripoli et du Haut Conseil d’Etat.
Alors que ce report se profilait, M. Bachagha –l’un des candidats le plus en vue de l’Ouest libyen à la présidentielle– s’était rapproché du camp rival en se rendant à Benghazi.
Il y avait rencontré M. Haftar, homme fort de l’Est libyen et chef de l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL).
L’ANL a d’ailleurs salué jeudi la désignation de M. Bachagha comme Premier ministre.
Le Parlement, qui estime que le mandat de M. Dbeibah a expiré avec le report des élections, avait retenu deux prétendants pour le remplacer: M. Bachagha, 59 ans et l’outsider Khaled Al-Bibass, un ancien haut fonctionnaire.
Avant de faire procéder au vote, le président du Parlement Aguila Saleh, l’un des principaux rivaux du gouvernement Dbeibah, a affirmé que M. Bibass avait retiré sa candidature.
Cité par des médias libyens, M. Bibass a démenti avoir retiré sa candidature.
Bachagha et Dbeibah, tous deux originaires de l’ouest du pays, disposent chacun du soutien de groupes armés en Tripolitaine.
« Je n’accepterai aucune nouvelle phase de transition ou autorité parallèle », a averti M. Dbeibah mardi dans un discours télévisé, affirmant que son gouvernement intérimaire ne remettrait le pouvoir qu’à « un gouvernement élu ».
L’ONU a fait savoir par la voix de son porte-parole Stéphane Dujarric qu’elle continuerait de soutenir M. Dbeibah.
Au début de la séance à Tobrouk, le Parlement a aussi voté pour prolonger de 14 mois son mandat, qui a théoriquement expiré en décembre.
La Chambre des représentants est considérée comme la chasse gardée d’Aguila Saleh, un cacique de l’Est accusé d’avoir enfreint toutes les procédures pour faire nommer M. Bachagha.
Des observateurs considèrent que c’est lui qui a fait dérailler le processus politique, en promulguant en septembre, sans vote, une loi électorale taillée sur mesure pour son allié Khalifa Haftar, qui était lui aussi candidat à la présidentielle.
Source: Avec AFP