Dans un entrepôt du nord de la Moldavie, les caisses remplies de pommes toutes rouges s’empilent jusqu’au plafond mais pour le patron des lieux, cette abondance n’a rien de réjouissant.
Depuis l’invasion de l’Ukraine voisine par la Russie le 24 février, de nombreux agriculteurs ne savent plus où écouler leur marchandise traditionnellement destinée à la Russie.
« Je ne sais pas comment on va faire pour les pommes qui restent, il y en a trop pour les vendre sur le marché moldave », soupire Valeriu Matcovschi, la soixantaine, propriétaire d’une exploitation à Bilicenii Vechi.
Il exporte habituellement vers la Russie la totalité de sa récolte, soit 2.000 tonnes par an, à raison de cinq à sept poids-lourds par semaine.
Aujourd’hui il doit chercher de nouveaux débouchés pour survivre.
Fin mars, il a enfin envoyé un premier conteneur vers le Koweït mais il a dû réduire les prix d’un tiers et le client est beaucoup plus regardant sur les variétés.
Le pommiculteur a aussi décroché des contrats avec l’Arabie saoudite et le Qatar.
Il espère « ne pas être amené à livrer les pommes à des transformateurs. Ce serait une tragédie », lâche-t-il, citant les pertes financières induites.
Ancienne république soviétique de 2,6 millions d’habitants nichée entre la Roumanie et l’Ukraine, la Moldavie « se trouve dans une situation difficile », s’inquiète le secrétaire général du gouvernement, Dumitru Udrea, interrogé par l’AFP.
La guerre en Ukraine a entraîné un afflux de réfugiés à l’impact conséquent sur l’économie du pays, qui souffre aussi de la rupture des chaînes d’approvisionnement et de la flambée des factures de gaz et d’électricité.
« En 2022, nous redoutons une contraction de l’économie de 3% dans un scénario optimiste et de 15% dans le plus sombre », détaille-t-il, alors que l’inflation pourrait atteindre 30% d’ici la fin de l’année.
La Moldavie, dont le Produit intérieur brut représente moins de 0,5% de celui de la France, se remettait déjà difficilement d’une série de crises économiques et politiques doublées d’un retentissant scandale bancaire portant sur la disparition d’un milliard de dollars en 2014-2015.
Répondant à l’appel au secours de Chisinau, l’Allemagne, la France et la Roumanie organisent mardi à Berlin une conférence des donateurs pour l’aider à faire face à ce fardeau.
« Nous allons présenter des projets visant entre autres la sécurité énergétique et le renforcement du pouvoir d’achat, en espérant obtenir un financement de 4 milliards d’euros » sous forme de prêts et de dons, explique M. Udrea.
A la faveur d’un accord de libre-échange signé avec Bruxelles en 2014 –une démarche qui lui avait aussitôt valu des représailles de la part de Moscou-, la Moldavie a vu son commerce avec le bloc européen progresser, représentant plus de 60% de ses échanges en 2021. Et elle espère approfondir ses relations avec l’UE: une demande d’adhésion a été déposée début mars.
Impossible toutefois de remplacer du jour au lendemain ses partenaires traditionnels de l’Est: la Russie, l’Ukraine et le Bélarus.
« A première vue, la part des exportations vers ces trois pays –soit 15%– n’est pas énorme, mais plusieurs secteurs en dépendent fortement, dont en premier lieu la pommiculture », commente l’économiste Adrian Lupusor, du groupe de réflexion Expert-Grup.
Le BTP et l’agriculture sont quant à eux suspendus aux matières premières livrées par la Russie et par l’Ukraine. « Même si les importateurs trouvent des fournisseurs ailleurs, les prix seront beaucoup plus élevés », estime-t-il.
En outre, la Moldavie, dont plus d’un million d’habitants ont émigré ces vingt dernières années à la recherche d’un emploi, pourrait voir chuter les transferts de fonds venus de Russie, prévient le responsable du gouvernement.
Or il s’agit d’une bouée de sauvetage cruciale pour de nombreuses familles.
Une partie des quelque 300.000 Moldaves travaillant sur le sol russe pourraient même rentrer au pays, ce qui mettrait sous pression le marché du travail et le système de sécurité sociale, ajoute M. Lupusor.
Entre les ouvriers qui trient les pommes et le va-et-vient des lève-palettes, M. Matcovschi frémit à l’idée de devoir peut-être se séparer de sa cinquantaine d’employés.
« Je n’ose même pas y penser, j’espère qu’on va résister ».
Source: AFP