L’annonce du retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire (Joint Comprehensive Plan of Action ou JCPoA), signé par Obama le 14 juillet 2015, levant les sanctions à l’égard de l’Iran en échange du gel de son programme d’armement nucléaire ne saurait nous surprendre dans son principe : il est la réalisation d’une promesse de campagne de Donald Trump. On est cependant étonné par sa brutalité et la première victime pourrait en être non l’Iran mais l’Europe.
L’Iran, ou nous nous trouvions le jour de l’annonce par le président américain, prend cette décision avec philosophie. La vérité est qu’elle ne change pas grand-chose à la situation de ce pays. Il subit les sanctions américaines depuis bientôt quarante ans. Celles de l’Europe datent de 2006, mais ni les unes ni les autres n’avaient vraiment été levées depuis 2015 en raison de la frilosité des entreprises et des banques devant l’intimidation du gouvernement américain. Depuis plusieurs années déjà l’économie iranienne s’est réorientée vers l’Asie : la Chine est le principal client du pétrole iranien et on peut presque tout lui acheter. Cela n’est pas forcément conforme à ce qu’auraient souhaité une partie des Iraniens, au fond très tournés vers l’Occident, mais sur le plan économique, rien ne change pour eux.
Au vu des statistiques, la véritable sanction de ces dernières années a été l’effondrement du prix du pétrole. Les 2/3 des exportations du pays sont composés d’hydrocarbures ou de produits dérivés. Avec le relèvement actuel des cours, la croissance iranienne a repris.
Rappelons-le : les Iraniens contrôlent les premières réserves de gaz du monde, réserves qui n’ont été découvertes qu’à une date récente. Ils ont aussi les troisièmes réserves pétrolières de la planète et l’Iran est, malgré les sanctions, le 6ème producteur.
Un défi pour l’Europe
De fait la première victime des sanctions américaines pourrait bien être l’Europe de l’Ouest. Peut-être en était-elle même sa première cible. 40 % des voitures qui circulent en Iran sont encore des Peugeot, mais pour combien de temps ? Peugeot y avait, après l’accord sur le nucléaire, projeté la construction d’une nouvelle usine ; pourra-t-elle se faire ? Renault avait un projet identique. Total et Engie (GDF) ne pouvaient se désintéresser d’un pays qui possède d’immenses réserves d’hydrocarbures. Engie a déjà déclaré forfait. Airbus avait signé un marché pour 100 avions : que va-t-il devenir ?
Du côté allemand, Siemens, Daimler et les banques étaient engagés : depuis 2015, les exportations allemandes vers l’Iran commençaient à reprendre.
Autant que le fond, compte la forme de la décision américaine. Grossièrement unilatérale, elle est assortie de pressions brutales auprès des Européens, comme jamais dans le passé, les Américains n’en avaient exercé vis-à-vis de leurs alliés. Les menaces proférées par le nouvel ambassadeur américain à Berlin ont été très mal prises par les milieux d’affaires allemands. Eric Schweitzer, président de la fédération des chambres de commerce et d’industrie allemande, a déclaré que ces menaces « ont provoqué un profond ressentiment au sein de l’économie allemande ». Le voyage d’Angela Merkel à Sotchi où Vladimir Poutine l’a très bien accueillie, en a été le premier effet.
Si les Européens sont amenés à renoncer à leurs projets d’investissements, les Iraniens n’y perdront pas grand-chose : les Chinois pourront prendre la place. Donald Trump aura ainsi contribué à renforcer la Chine et à affaiblir l’Europe de l’Ouest. Il n’est pas sûr que ce soit l’intérêt à moyen terme des Etats-Unis.
Pour l’Europe la décision de Donald Trump constitue une crise, au sens grec du terme : le moment de décider – et de décider sur une manière grave : s’inféoder complètement à Washington ou prendre son indépendance.
Les 27 réunis à Sofia ont été unanimes pour ne pas suivre les Etats-Unis. Mais combien de temps cette belle résolution tiendra-t-elle ?
Sans doute les Européens ne vont-ils pas se retirer de l’accord mais il y a un fort risque que les entreprises européennes, paralysées par la crainte des sanctions américaines, désertent l’Iran, ce qui équivaudrait à une capitulation devant Donald Trump.
Les Européens ne devront donc pas se contenter de rester dans l’accord, il faut qu’ils prennent des mesures pour protéger leurs entreprises contre les sanctions américaines au cas où elles se maintiendraient en Iran. Seule solution : être à même d’imposer des contre-sanctions aux entreprises d’outre-Atlantique.
Par derrière cette question, celle de la compétence extraterritoriale que se sont attribuée les tribunaux américains, une prétention exorbitante contre laquelle les Européens n’ont jusqu’ici que peu réagi. Et n’imagions pas que la justice américaine soit si indépendante que les préoccupations politiques soient absentes de ses jugements !
L’avenir de l’Europe, comme lieu de pouvoir géopolitique et non pas d’abord comme machine bureaucratique se joue au moins autant sur ce champ que dans les élections italiennes. A quoi servirait le maintien de l’Union européenne et de l’euro s’ils devaient s’accompagner d’un assujettissement devant la puissance dominante. A l’inverse, quel que soit le devenir de l’euro, le rapport des grands pays européens à l’imperium américain demeure un enjeu capital.
Si la pression américaine s’accentuait, les Européens conserveraient une arme ultime : dès lors que la simple utilisation du dollar rend leurs entreprises passibles des foudres de la justice américaine, les encourager à diversifier les devises qu’elles utilisent. Mais qui se risquera à aller jusque-là ?
Par Roland Hureaux : Essayiste et haut fonctionnaire
Source : Iveris